Introduction :
Les premières études réalisées sur le site romain du Moré sont celles de J. Coromines (1929) et J.C. Serra Rufols (1928-1932). Ces auteurs ont évoqué la possibilité qu’il s’agisse d’un camp militaire républicain (castrum), en raison des caractéristiques monumentales des murailles visibles. Serra Rufols a établi un premier plan du site où l’on voyait trois niveaux distincts, une tour située au niveau supérieur dominant l’ensemble.
Par la suite, J. Soler et J. Pera (1978 et 1985) ont publié les données connues dans la région, maintenant l’hypothèse d’un castrum et montrant que les restes alors visibles étaient moins importants que ceux que Serra Rufols avait pu interpréter. Quelques années plus tard, des auteurs comme J. Miró et R. Pascual ont étudié le matériel du Moré, dont les caractéristiques les ont conduits à penser à la présence d’un four à amphores sur le secteur.
Le tournant sur ce site s’est produit en 1993-1994, quand la zone a été touchée par la construction de l’autoroute A-19, l’actuelle C-31. Les prospections, sondages et fouilles effectués sur l’emprise de cette infrastructure, dans la zone proche de la ferme de Cal Cordero, à environ 75 mètres entre la colline voisine et l’Arroyo, ont permis de mettre au jour une partie de dépotoir, où les restes de quelques murs ont été interprétés comme un atelier de potiers.
En septembre 1995, grâce à l’accord entre la Generalitat de Catalunya, les autoroutes CESA et la mairie de Sant Pol de Mar, une campagne de fouilles de trois mois a été lancée, financée par le 1 % culturel des travaux de l’autoroute Mataró-Palafolls. Le ministère de la Culture a attribué la fouille à la société Arqueocincia, SCP, équipe qui a réalisé en février 1997 une dernière intervention pour élargir la fouille et consolider certains murs.
Cadre géographique :
La villa du Moré, dans la commune de Sant Pol de Mar, municipalité du Maresme, province de Barcelone, est située sur la côte, entre Calella et Canet de Mar, à environ 50 km au nord de Barcelone, dans une zone de collines qui culmine à 94 m au-dessus du niveau de la mer, entre deux ruisseaux ou torrents, el Moré et « Els Valls », qui débouchent sur la côte à environ 900 m.
La zone fouillée a longtemps été vouée à la culture de la vigne, dont plusieurs fosses modernes ont été détectées et qui a endommagé une grande partie de la « tour ». Dans les années 1970-80, la culture de la fraise s’est développée, qui a affecté très sérieusement les deuxième et troisième terrasses.
Caractéristiques de la villa :
El Moré, peut être considéré comme la pars rustica d’une villa romaine, ou la partie productive d’un centre dédié à la production de vin : récolte des raisins des champs voisins, pressurage, dépôts de fermentation et de la cave (cella vinaria), et atelier de potiers. Pas de vestiges connus de l’hypothétique pars urbana, bien qu’il soit logique de supposer que l’ensemble ait fait partie d’un fundus plus vaste, dont l’espace résidentiel pourrait se trouver à proximité.
Sa structure est divisée en quatre terrasses installées sur le versant, s’adaptant au dénivelé du terrain, une cinquième étant située dans la partie NE du site où le terrain est plus plat. Bien qu’il n’y ait pas eu de fouilles, plusieurs dépotoirs s’étendaient jusque-là. Nous savons par des sources orales que, dans les années 1970-1980, de nombreux dolia, touchés par la culture moderne des fraises, ont été retirés de ce secteur.
Pour abriter les divers bâtiments, le système de construction en terrasses a supporté la construction de murs suffisamment larges, entre 0,80 et 1.00 m, le plus épais face à la mer.
Cela a supposé de grandes coupes dans le substrat géologique, sur lequel a été construit un mur en blocs de grandes dimensions à la face extérieure bien appareillée, l’espace entre le mur de pierre et la paroi étant rempli par de petites pierres et de l’argile.
Le bâtiment présente un parement simple et fonctionnel, en pierre locale, argile, fragments céramiques et bois. Les murs périmétraux étaient peut-être en pierre, surtout s’il s’agissait des limites d’un dépôt, la plupart de ceux qui compartimentaient les différents espaces des terrasses étant, eux, en opus craticium, c’est-à-dire plinthe en pierre et élévation en bois et adobe, qui étaient ensuite blanchis à la chaux.
L’installation, d’une superficie approximative de 2.150 m2, était divisée comme suit : 465 m2 sur la terrasse 1 ; 670 m2 sur la terrasse 2 ; 574 m2 sur terrasse 3 et 423 m2 sur la terrasse 4. La distribution interne suit le canon imposé du module romain de 10 pieds, également reconnu dans d’autres installations rustiques où se trouvent la partie de l’atelier de potiers et le four, la zone de séchage, de décantation d’argile, etc. Sur la première terrasse, il serait de 40×30 pieds ; sur la deuxième de 90×80 pieds ; sur les troisième et quatrième de 100×100 pieds.
Sur la terrasse 1, la plus haute, s’élève au centre ladite « tour », d’après la taille de ses murs. D’une superficie de 90 m2, divisée trois zones, elle a fini par être interprétée comme une zone d’habitat et de surveillance de la côte.
La terrasse 2, plus grande que la précédente, dispose d’une cour centrale sur laquelle ouvrirait une série de pièces. Sur le côté ouest, très arasé, seuls trois espaces ont été documentés : I, IX et X, interprétés comme des zones de transformation des céréales.
Les zones II, III et IV étaient destinées à la fonte et à la forge du métal, une structure de combustion comportant une grande quantité de cendres ayant été retrouvée en zone II, l’espace III présentant sur le sol géologique une découpe en forme de T, dont une partie très rubéfiée. À l’intérieur, se trouvaient des couches de cendres, des scories métalliques et des pièces à moitié travaillées. Dans la zone IV, les vestiges d’un atelier de forgeron ont été préservés, dont la base circulaire d’une enclume.
Les espaces V et VI, ainsi que la petite réserve du patio, formeraient une zone de pressurage, le recueil du moût se faisant dans la zone VI, où se trouvait aussi un pressoir qui drainait le moût vers la cuve située sur ce qui serait la terrasse 5, non fouillée. L’espace VII correspondrait à un espace comportant les contrepoids du pressoir de la zone VI et peut-être aussi d’un pressoir situé dans les zones VIII et XI, où nous trouvons plusieurs pavements et éléments connexes qui évoquent une zone de pressurage, dépôts, dolia, la partie la plus arasée ayant livré une pierre analogue à celle de la zone VI, avec encoches pour insérer les arbres d’un pressoir à vis. La terrasse 3 n’a pas été complètement fouillée, malgré l’extension conduite sur le côté NE.
Sur cette terrasse, quatre zones ont été documentées jusqu’au mur de soutien. Nous ne connaissons pas la fonction de l’espace XII, ouvert sur la cour, mais l’espace XIII, compte tenu de sa taille et de son mobilier, a dû fonctionner comme un réservoir vers où devait descendre le moût des pressoirs de la terrasse 2. Les espaces XIV et XV, qui d’abord n’en formaient qu’un, fonctionnèrent comme une zone de stockage de 18 dolia (cella vinaria) sous un portique. Plus tard, cet espace a été fermé et l’espace XV a été divisé. Il semble qu’un portique plus simple ait alors été réalisé devant les pièces.
À l’angle NE de cette terrasse, un réservoir et un mur ont également été documentés, qui ne suivaient pas exactement l’orientation du reste du bâtiment. La vidange de la cuve était assurée par ce que nous avons appelé la 5e terrasse, non fouillée, fonctionnement identique à celui de la cuve adossée à la zone VI.
La terrasse 4 n’a pas été systématiquement fouillée, mais quelques sondages ont été effectués pour la délimiter, et l’un d’eux a permis de découvrir dans la partie centrale plusieurs fonds de dolia.
Si l’on résume brièvement ces structures, le complexe du Moré montre la construction planifiée et méticuleuse d’un centre de production de vin, qui a profité de sa structure en terrasses pour distribuer la production, par gravité, depuis la partie supérieure (pressoirs) jusqu’aux espaces de stockage dans les zones basses. Malgré son altitude relative, le produit devait certainement être ensuite mis en amphores – produites sur le site – qui descendaient le torrent voisin jusqu’à la côte, destination finale de cette production, où elle était embarquée.
Épigraphie du site. Le paysage fiscal :
Plusieurs marques ou timbres d’amphores (AC, C, CHR, OR) ont été trouvés, la plupart sur le fond, principalement des Dressel 2-4. Un fragment informe portant la marque MEVI a également été retrouvé et il faut noter un cartouche sur un col de Pascual : il s’agit du sceau : P.BAEBI. TVIC ou TVIL, qui renvoie très probablement à Publius Baebius Tuticanus, personnage de rang équestre originaire de la cité italienne de Vérone. Il est interprété comme un investisseur dans la région, qui a été à même d’acquérir ou de commissionner des lots d’amphores à vin pour les distribuer sur d’autres marchés, phénomène bien documenté par ailleurs en Léétanie.
Évolution du site :
La date de construction du complexe pourrait être située à l’époque augustéenne, vers le changement d’ère. C’est le moment de la construction de la plupart des structures du complexe productif, comme semblent l’indiquer l’absence de TSI et la présence de Pascual 1 dans les tranchées de fondation. Une deuxième phase d’utilisation et de rénovation des installations est ensuite documentée, entre le 1er quart du Ier siècle et la mi-IIe siècle après J.-C. À partir du troisième quart, on constate une phase d’abandon de la plupart des structures, qui coïncide avec un phénomène général, en Léétanie et dans le Maresme, de chute de la production de vin.
Entre le IVe et le Ve siècle après J.-C., la zone a été ré-occupée, mais pas dans sa totalité et certainement pas pour les mêmes fonctions. On connaît à ce moment deux inhumations dans l’espace VII et l’occupation d’une partie des structures est documentée jusqu’au VIe siècle après J.-C. On retrouve des signes de fréquentation au XVIIIe siècle, avec des fosses de culture de la vigne et, déjà, l’arasement dû aux machines dans les années 1970-1980.
Conclusions :
Les fouilles de 1995 et 1997 ont mis à nu des installations vitivinicoles, où plusieurs phases de production de vin peuvent être distinguées, jusqu’ici partiellement documentées dans d’autres villas ou centres de production.
Le centre de production du Moré nous montre l’ensemble du processus, depuis la culture des vignes voisines (probablement en profitant des collines proches) jusqu’à la commercialisation et la distribution en amphores. De fait, nous connaissons un certain nombre d’espaces avec des fonctions différentes :
- Zone d’habitation, avec tour de surveillance de la côte et possible phare.
- Zone de pressurage avec foulage aux pieds et pressoirs.
- Zone de fermentation et de dépôt pour stockage.
- Domaine viticole (cella vinaria), stockage en dolia où le vin finissait de vieillir, avant de remplir les amphores.
- Zone potière : atelier de fabrication et de cuisson d’amphores (zone très partiellement connue).
Le conseil municipal de Premià de Mar a aménagé le bâtiment pour la visite publique (2015). Depuis 2016, et grâce à une subvention de fonds européens FEDER, un plan ambitieux de revalorisation de ce patrimoine a pu se développer, incluant une intervention archéologique visant à découvrir les zones non encore fouillés du bâtiment, tâche réalisée en 2018 et 2019 et qui a permis de compléter le plan (photo 5, en rouge les zones récemment fouillées). Une fois les fouilles archéologiques terminées, la muséalisation de l’espace a commencé, avec l’objectif de pouvoir ouvrir au public courant 2021 sous le nom de Musée romain de Premià de Mar.
Valorisation du site :
Le site a fait l’objet d’une reconstruction 3D. Des travaux de consolidation et de reprise ont été mis en œuvre et, en 2007, l’entreprise Kultura a proposé un plan de gestion. Toutefois, le conseil municipal de Sant Pol de Mar n’ayant pu obtenir les fonds nécessaires pour le mener à bien, après que le site eut été pendant plusieurs années livré aux intempéries, de petites campagnes ayant seulement permis d’entretenir les vestiges, la Generalitat de Catalunya a décidé de les couvrir pour éviter des dommages supplémentaires. Par conséquent, il n’est pas possible aujourd’hui de visiter le site.
Auteurs des notices Parcours Archéohistoire :
- El Moré (Sant Pol de Mar, El Maresme, Barcelone)
Esther Gurri, Museu de Badalona
Oriol Olesti, Universitat Autònoma de Barcelona
Bibliographie :
ARQUEOCIÈNCIA, 1995. El Moré. Autopistas i Arqueologia. Memòria de les excavacions en la prolongació de l’autopista A-19. Generalitat de Catalunya i ACESA. Barcelona, pp. 191-204.
Gurri, E. Sánchez (1997), El jaciment rmà del Morè. Sant Pol de Mar. Maresme. Generalitat de Catalunya, Excavacions arqueològiques a Catalunya, 13. Barcelona.
GURRi, E., GURRI, J., Bagur, F., Medrano, J., 1998, Un centre productor de vi laietà: el Moré (Sant Pol de Mar, El Maresme) De la realitat arqueològica a la virtual. Segon Col·loqui Internacional d’Arqueologia Romana. El vi a l’antiguitat. Museu de Badalona, pp. 563-568.
OLESTI, O., 1995, El territori del Maresme en època republicana (s. III-I aC). Estudi d’Arqueomorfologia i Història. Premi Iluro. Caixa Laietana. Mataró.
TREMOLEDA, J., 2005, Un nou inversor itàlic en la viticultura de la Tarraconensis: Publi Baebi Tuticà PYRENAE, núm. 36, vol. 2. Barcelona, 2005, pp. 115-140.
Figures :
Figure 1. Vue d’ensemble du site (E. Gurri).
Figure 2. Plan du site du Moré (Gurri-Sánchez 1997).
Figure 3. Vue de la pièce 6 (E. Gurri).
Figure 4. Vue des pièces 5 et 6 (E. Gurri).
Figure 5. Reconstruction virtuelle du site (Gurri et alii 1998)
Figure 6. Reconstruction virtuelle de l’une des cellae vinariae (Gurri et alii 1998).