Le port médiéval
de Vendres
(Hérault)
Introduction :
Dans l’Antiquité, l’étang de Vendres, accessible à la navigation, possède déjà un « port de Vénus » attesté au IVe siècle par le poète bordelais Ausone. Son emplacement n’est pas connu par l’archéologie mais la configuration restituable de l’étang et une carte datée de 1751 (fig.1) permettent de faire l’hypothèse que le port de l’étang de Vendres devait se situer au pied du village de Vendres protégé au sud par l’avancée de terre qui porte les vestiges du temple de Vénus, fouillés dès le début du XVIIe siècle (fig.2). Nous supposons que la localisation du port, bien actif au Moyen Âge, n’a guère dû changer depuis l’Antiquité.
Le port de pêche :
Au Moyen Âge, le port de l’étang abrite des barques de pêche – poissons et coquillages. Au sein de l’étang, on peut pêcher des crabes, des moules, des Cardii edulis, des mulets, de petites daurades, des limandes, des soles, des barbues, etc. Au XIVe siècle, pour ce droit de pêche, tous les ans, les Vendrois paient la taille royale de 27 livres et offrent au roi 176 moules pour chaque barque qui en pêche pendant le carême. Parfois, les élites urbaines de Béziers y viennent jouir de la pêche. En juillet 1383, Peire Fabre, notaire de Béziers et ancien consul de la ville, visite le village avec sa femme, sa fille et son gendre… pour aller « a l’estanh am barquas II pesquar musclhes ». Lui et son groupe sont bien accueillis par les consuls de Vendres, d’autant qu’il assume alors une fonction de procureur des consuls de Vendres.
Vers 1375, les consuls de Vendres essaient d’ailleurs d’interdire aux habitants du village voisin de Sérignan de pêcher dans l’étang, mettant en place des panonceaux fleurdelysés pour signaler que l’étang est placé sous la sauvegarde royale. Cet événement est source de grands conflits et procès entre les deux communautés, qui aboutissent, en 1377, à une transaction limitant le droit de pêche des Sérignanais.
Pour eux, désormais, la zone de pêche des poissons morts s’étend du port de l’étang jusqu’aux limites du village de Vendres, alors que celle des poissons vivants, à l’exception des barbues, est limitée du port de l’étang jusqu’au milieu entre le lieu-dit « los pos autres » et la bastide de Johannes Albarici (fig.3 et 4). De fait, une carte de 1764 (fig.5) mentionne une « Bourdigue de Vendres » à l’entrée de la moitié nord de l’étang de Vendres, réduit à cause de la baisse des eaux et divisé en deux par l’embouchure de l’Aude. Elle a été installée pour capturer des poissons venant de la mer et entrant dans la moitié nord de l’étang au travers d’une passe, cachée lors de la saison des pluies mais visible en saison sèche. Il semble qu’à côté de la bourdigue, est construite une cabane où les pêcheurs séjournent. À l’époque moderne, les cabanes sont faites de pieux et de perches et couvertes de roseaux. En supposant que cet état de choses remonte jusqu’au XIVe siècle, nous pouvons comprendre que la limite de la zone de pêche des poissons vivants doit être fixée, non pas avant l’ouverture de la bourdigue, mais en aval, donc entre « los pos autres » et la bastide de Johannes Albarici, pour que la quantité de poissons qui peuvent y entrer ne soit pas réduite par les Sérignanais.
Le port de commerce :
Le 9 décembre 1351, « in portu de Venere », un changeur de Béziers, Johannes Cutellerie, essaie d’exporter secrètement et illégalement des monnaies françaises de billon et des objets d’orfévrerie à Perpignan et se fait arrêter sur place. Cet épisode suggère un lien commercial entre le port de Vendres et la ville de Perpignan. De plus, en 1373-74, les consuls de Vendres envoient un villageois à Perpignan pour chercher un marchand désirant acheter le droit de percevoir et prendre l’impôt sur les revenus du village, alors qu’en 1384, ils y envoient deux villageois pour emprunter de l’argent. Les voies commerciales par la mer mènent ainsi à Perpignan, mais également à Narbonne et à Aigues-Mortes, où les Vendrois annoncent la vente de 12 ou 15 muids de vin communal. De plus, il est à noter que la leude de Narbonne se lève aussi à Vendres. Le port de l’étang voit donc souvent des barques de commerce entrer et sortir et deux villageois sont installés là comme « gardas rial del port de Venres » en 1383-84, sans doute pour contrôler les marchandises à taxer.
Il se peut que celles que l’on débarque soient transportées au marché de Béziers ou à la foire de Pézenas : nous savons qu’en 1331, certains marchands de Vendres se rendent à la foire de Pézenas avec mulets et ânes, en passant par la ville de Béziers.
Or, au cours du XIVe siècle, avec l’appui de la royauté, le port d’Aigues-Mortes, allié avec la ville de Nîmes, tente de monopoliser les commerces maritimes au détriment des autres ports du golfe du Lion. En 1366, contre le lieutenant du viguier royal d’Aigues-Mortes qui avait interdit une escale entre Leucate et Aigues-Mortes, l’évêque d’Agde, les consuls d’Agde et les consuls de Béziers protestent, en soulignant l’importance des ports de Narbonne, de Sérignan, d’Agde, de Mèze et de Vendres. Malgré cela, il semble que la situation reste inchangée : une lettre royale du 23 août 1400 témoigne que les gens du roi surprennent des nefs et des barques faisant escale à Agde, à Sérignan et à Vendres et les emmenèrent de force à Aigues-Mortes.
Le port face aux pirates :
Ouvert à la navigation méditerranéenne, le port et le village de Vendres au bord de l’étang s’exposent parfois au danger de piraterie à la fin du Moyen Âge. Pour parer à l’approche des musulmans, « enfizels sive mozols », en 1377-78, les consuls de Vendres discutent avec d’autres représentants des communautés littorales et partagent des renseignements sur le mouvement des « gales de mozols » ou des « fustas armadas de sararis », qui sont « en las ma[r]s de Cataluenha ». Ceux-ci sont apportés par un messager de Collioure aux consuls de Sérignan, qui les diffusent ensuite aux communautés voisines. Mais, dans le golfe du Lion, les actes de piraterie ne sont pas seulement le fait des Sarrasins ;
les chrétiens catalans, provençaux ou italiens y participent aussi largement. En effet, en 1377, lorsqu’un bateau armé vient au cap de Leucate et enlève des gens, les consuls de Béziers demandent aux consuls de Vendres de vérifier s’il est « de cristias o de enfizels » et de le rapporter à la cour royale de Béziers. Finalement, le viguier royal de Béziers visite le village de Vendres pour faire prendre garde « per lo avenimen de las gales ». Un demi-siècle après, en mars 1434, prévaut toujours la même politique royale pour la défense de Vendres contre la piraterie, le roi faisant don aux habitants de Vendres de quatre cent livres tournois, à prendre sur les contributions du Languedoc, pour les aider à réparer leurs fortifications et se mettre à l’abri des incursions des pirates.
Auteurs des notices Parcours Archéohistoire :
- Le port médiéval de Vendres, Hérault
Shinya Mukai, Université d’Osaka
Bibliographie :
Jean Combes, « Les ports languedociens au XIVe et au XVe siècle », Mémoires de la Société Archéologique de Montpellier, vol. XX, Montpellier, 1990, pp. 39-66.
Eugène Devaux, « Les trois ports de Vénus. Port-Vendres (Pyrénées orientales), Vendres (Hérault), Porto-Venere (Liguria) (curiosités de l’histoire du Roussillon) », Bulletin de la Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées orientales, vol. LXVI, 1951, pp. 89-97.
Shinya Mukai, Sérignan et Vendres, deux villages biterrois face à la guerre dans la seconde moitié du XIVe siècle. Étude du gouvernement villageois au bas Moyen Âge, 3 vol., thèse de doctorat, Université de Toulouse II, 2017.
Shinya Mukai, « Les conflits du droit de pêche entre Sérignan et Vendres : État, marché, guerre et changement climatique sur le littoral languedocien à la fin du Moyen Âge », Études Héraultaises (à paraître).
Carole Puig, « Les ressources de l’étang et de la mer dans la partie occidentale du Golfe du Lion (du XIIe au XIVe siècle) », in M.-Cl. Marandet (dir.), L’homme et l’animal dans les sociétés méditerranéennes. 4e journées du CHRISM, Perpignan, 2000, pp. 93-121.
Figures :
Figure 1 : Localisation du port de Vendres (© Shinya MUKAI).
Figure 2 : Le port, le village et le Temple de Vénus (© Shinya MUKAI).
Figure 3 : Localisation actuelle du milieu entre le lieu-dit « los pos autres » et la bastide de Johannes Albarici (© Shinya MUKAI).
Figure 4 : Le milieu entre le lieu-dit « los pos autres » et la bastide de Johannes Albarici (© Shinya MUKAI).
Figure 5 : Bourdigue de Vendres (© Shinya MUKAI).
Fond de Figure 1 : AN, NIII Aude 9, no 14, carte des lieux contentieux entre le seigneur de Fleury et la communauté de Vendres (1751), photographiée par Jean-Loup Abbé.
Fond de Figure 2 : AN, NIII Aude 9, no 12, carte des lieux contentieux entre le seigneur de Fleury et la communauté de Vendres (1749), photographiée par Jean-Loup Abbé.
Fond de Figure 3 : Géoportail (geoportail.gouv.fr/carte), photographie aérienne de Vendres (2018).
Fond de Figure 4 : Voies navigables de France, Archives des canaux du Midi, Fa, Cartes, no 28, carte de la plaine entre les étangs de Capestang, de Vendres et de Gruissan (1766).
Fond de Figure 5 : AN, NIII Aude 9, no 4, carte des lieux contentieux entre le seigneur de Fleury et la communauté de Vendres (1764), photographiée par Jean-Loup Abbé.