Introduction :
Le site connu comme « Temple de Vénus » est situé à 6 km au sud-ouest de Béziers (Baeterrae), dans l’agglomération de Vendres. Il est installé sur la pointe avancée d’un promontoire entre 2 anses bien protégées de l’étang de Vendres (fig. 1) ouvert sur la mer et accessible dans l’Antiquité à la navigation.
Le toponyme, dû aux seuls vestiges visibles, est attesté au début du XVIIe siècle sur un dessin manuscrit où le peintre Pierre Barral livre, en 1628, la première représentation (1,10 x 0,60m.) (fig. 2) qui fait suite aux investigations conduites par l’évêque Thomas de Bonsi en1620-1621 qui avaient identifié des thermes.
Mais les images aériennes et les relevés de prospection ont révélé l’ampleur des structures enfouies, qui se distribuent sur plus d’1 ha, et la complexité du site organisé sur deux secteurs distants de quelque 150 m. Il a donc été possible d’articuler le secteur connu de longue date à l’importante villa gallo-romaine, implantée au plus près de l’étang (fig 3) dans une zone particulièrement attractive. C’est là que s’est développé un village à l’âge du Bronze et à proximité qu’a été mis au jour un importante complexe funéraire tardo-impérial, encore imparfaitement exploré, mais dont la datation, entre le IIIe et le Ve siècle, des 41 tombes fouillées, conduit à le rattacher à la villa, et plus précisément, compte tenu du mobilier, à la population qui œuvrait sur le domaine.
Le quartier thermal :
Les fouilles menées au début du XXe s. (1906-1915) par le propriétaire archéologue des lieux, pressé de démontrer l’existence d’un temple, ont mis au jour un ensemble de structures (fig 4), qui ont aussi malheureusement détruit nombre d’éléments, aggravant les dommages dus à l’érosion, qui a provoqué, au long des siècles, l’écroulement d’une partie des installations bordières dans l’étang. Les campagnes successives de prospection, pédestres et aériennes, puis de fouilles, conduites par Ludovic Le Roy et le Parc culturel du Biterrois, ont permis en 2008 de confirmer la lecture du XVIIe siècle (fig. 5), de déterminer un plan et l’organisation des pièces thermales (fig. 6), datées des dernières décennies du Ier S. de notre ère, autour des années 80, et de les relier à l’habitat.
Le choix d’installer les thermes sur le promontoire naturel quand ces installations privées se multiplient dans la province a imposé aux constructeurs d’engager de grands travaux. Il a fallu notamment décaisser le sol sur près d’1 m. Pour utiliser les potentialités visuelles du promontoire, qui domine aujourd’hui l’étang de 1,50 m, on a mis en œuvre un véritable programme architectural, construisant un podium pour mettre en scène les thermes, « l’espace socialement le plus important », ménageant des niveaux (fig. 7) qui assurent la recherche de points de vue sur le large et la meilleure visibilité depuis la mer.
Le plan révèle aussi une rigoureuse conception qui répartit les espaces selon un axe de symétrie et met en œuvre des rapports métriques, construits sur des modules répétitifs (fig. 8), qui participent de l’harmonie de l’ensemble. Cette extension de plus de 600 m2, comprenant une ou deux étuves, caldarium à abside équipé de baignoires, tepidarium, frigidarium muni sans doute d’une grande natatio (fig. 9), affiche le luxe de l’ensemble. Dans ce plan éclaté, les thermes excentrés et l’habitat résidentiel devaient, en effet, être reliés par une enfilade de jardins et de portiques, d’où provenait peut-être l’Eros de marbre retrouvé au XVIIe et aujourd’hui perdu (fig. 10). Il faut noter la recherche du confort (pièces chauffées par le sol et les murs, verre aux fenêtres), le luxe des matériaux, en partie importés, et la richesse des pièces thermales. Les fouilleurs du XIXe s. ont trouvé en abondance, et souvent encore en place, marbres, mosaïques, enduits peints et, surtout, un décor stuqué original. Fait d’incrustations de coquilles de cardium moulées (fig. 11), « qui abondaient parmi les ruines, dans le décor des corniches et sur les murs », et dont on sait qu’elles étaient produites dans un four de potier reconnu sur un site voisin, ce décor venait rappeler les coquillages recueillis dans l’étang, qu’évoque encore Ausone (Lettre 9, À Paulus), citant la qualité des huîtres « que Narbonne engraisse au port de Vénus » et livrant du même coup le nom de la villa, et du village de Vendres, selon l’interprétation reçue aujourd’hui.
Le vivier-tour : une singularité du site
Le dessin du XVIIe siècle met en évidence l’imposante pièce ronde dont les relevés de la portion restante d’un parfait arc de cercle – une partie du mur d’enceinte est encore conservée en élévation (fig. 12 et 13), permettent d’assurer que son plan s’inscrivait dans un cercle et d’en restituer le diamètre de 18,88 m et une superficie de 280 m2. Implanté en contrebas des thermes, dans le sable, équipé d’un sol étanche, cet espace, qui était peut-être aménagé avec un bâti interne, interprété au XXe s. comme un socle et dont des vestiges ténus ont pu être sondés, pouvait aussi être muni d’un portique interne (une colonne figure sur le dessin du XVIIe et les fouilleurs du XXe en auraient sorti plusieurs).
Alors, comment lire aujourd’hui ce bâtiment-tour ? Sa monumentalité, les différentes observations et comparaisons conduisent à envisager un aménagement de luxe, vivier ou bassin d’agrément (?) avec triclinium ou non (?) qui complèterait cet espace dévolu aux loisirs aquatiques.
La villa :
D’après le matériel céramique daté (amphore italique, céramique italique), une première occupation, ferme sans doute, a dû se développer sur ces lieux dès les débuts de la présence romaine, fin IInd /début Ier avant. À sa suite, le site connaît une nouvelle impulsion dans le dernier quart du Ier s., l’établissement tardo-républicain s’inscrivant dans l’espace paysager densément peuplé du pourtour de l’étang à partir du tournant de l’ère.
On ignore tout des bâtiments de la villa, qui reste occupée, apparemment sans hiatus, jusqu’au Ve/VIe s. de notre ère mais le mobilier archéologique retrouvé, sa concentration notable sur une zone de quelque 4.000 m2, et les modalités de sa diffusion, permettent d’estimer à nettement plus d’1 ha la superficie totale de la villa. Il documente la présence de constructions (tegulae, blocs de calcaire coquillier), le fonctionnement de l’habitat alto-impérial (amphores de Taraconaise (Pascual 1), de Bétique (Dressel 20), de sigillée sud-gauloise, de BOB (A1, B1, C1), le caractère luxueux incontestable (tesselles de mosaïques, plaquettes de marbre ou de schiste) et permet d’esquisser une organisation de l’ensemble avec la partie résidentielle de l’habitat et la proximité des bâtiments d’exploitation de la pars rustica. La vocation agricole du domaine est, sans surprise, matérialisée par la présence de nombreux fragments de conteneurs, amphores et dolia (à dégraissant de pouzzolane ou de quartz) qui signent l’existence d’espaces de stockage et par les nombreuses meules de basalte, , attestant l’orientation polyculturelle de la production, avec une présence significative de la vigne, conformément à ce qui s’observe dans le Biterrois.
La villa, alimentée par un aqueduc, bien noté dès le XVIIe s. et en partie visible aujourd’hui, est le centre d’un riche domaine rural dont l’emprise s’inscrit dans un territoire structuré et encore marqué par la centuriation coloniale, puis remodelé par le cadastre impérial dans les années 80 de notre ère, celles de la grande expansion économique du Biterrois, des grands travaux sur le domaine qui se dote alors du quartier thermal. Il n’est pas indifférent de noter que c’est cette orientation qui domine nettement dans l’ordonnancement des tombes de la nécropole, toutes à inhumation.
Sur ce point stratégique, au carrefour d’une circulation maritime, fluviale (ruisseau de la Carriérasse) et terrestre (sur un axe viaire qui rejoint la voie domitienne), a prospéré la « villa de Vénus », villa Veneris, dont le nom attesté à la fin du Xe siècle, vient, de façon assez exceptionnelle, d’un emprunt à la mythologie, comme pour certaines villae italiennes parmi les plus fameuses, et non du gentilice du propriétaire, selon l’usage habituel. C’est là un indice qui milite, avec l’original quartier thermal et son vivier-tour, pour identifier la villa de Vénus comme villa maritime.
Valorisation :
Les thermes, à la suite de la fouille de 2008, ont été protégés et recouverts, le secteur bénéficiant d’une mise en valeur minimale, avec indication du plan (fig. 14).
Depuis 2017, la villa dans son ensemble est le cœur d’un projet de création d’un itinéraire culturel, archéologique, environnemental et historique pour la valorisation du patrimoine régional, conduit par l’association Parc Cultuel du Biterrois, en collaboration avec l’association Patrimoine et Nature, avec le soutien du département de l’Hérault, de la Communauté de communes La Domitienne, des communes de Lespignan et de Vendres. L’IDANH (Itinéraire de Découverte, Archéologie, Nature, Histoire) doit être jalonné de panneaux d’information in situ, équipés d’un QRcode qui renvoie au site web dédié. Il est opérationnel depuis 2020 qui a vu la pose des 3 panneaux sur le site lors des journées européennes du patrimoine (fig. 15, 16, 17), les premiers dans la boucle « Temple de Vénus et aqueduc » (fig. 18), partie du parcours « Autour du Temple de Vénus : Rome entre dunes et garrigue » (fig. 19).
La valorisation, qui passe par diverses présentations au public, comporte la production d’une imagerie 3D, en images fixes pour la restitution de la villa (fig. 20), des thermes (fig. 21), du domaine (fig. 22 et 23), et, à prochain terme, une visite virtuelle structurées sur 3 points, la villa et le domaine prolongeant les courtes animations actuelles (vidéo ci-dessous), le quartier thermal et le fonctionnement du chauffage par hypocauste.
Accéder à la villa, Georges Tirologos/Parc culturel du Biterrois.
Auteurs des notices Parcours Archéohistoire :
- La Villa Temple de Vénus
Monique Clavel-Lévêque, Université de Franche-Comté / Parc Culturel du Biterrois
Bibliographie :
Anne de Rulman, Récit des Anciens Monuments qui paraissent encore dans le despartement de la Première et Seconde Gaule Narbonnaise. Antiquités de Béziers et de Nismes1628. Récit V, Béziers Vendres, man.fs 8648 (dessins, folio 23,) et 8649 (texte daté de 1626-1627), 1628, BNF, manuscrit fond français.
Base Gallia Romana.
Alain Bouet, Les Thermes privés et publics en Gaule Narbonnaise, Rome, EFR, 320, 2003, pp. 345-347.
André Bouscaras et J. Gondard, Portal Vielh, SRA Languedoc-Roussillon dans Guy Barruol, Gallia, 27/2, 1969, 400 p.
Monique Clavel, Béziers et son territoire dans l’Antiquité, Paris, Les Belles Lettres, 1970, pp. 351, 552-554 et 610-611.
Monique Clavel- Lévêque, Autour de la domitienne. Genèse et identité du Biterrois gallo-romain, Paris, L’Harmattan, 2014, 266 p.
Monique Clavel-Lévêque, « Sur les pas de Vénus entre mythe et 3D : réveiller la villa Temple de Vénus” (Vendres, Hérault) et faire revivre le patrimoine régional », in Laure Lévêque, Cécile-Bastidon-Gilles, Simone Visciola (éds.), La double vie du patrimoine. Les voies de la restitition, Arcidosso, Effigi, 2021 (sous presse).
Joseph Giry, L’Hérault biterrois, Nîmes, 1998, pp.365-367.
Ludovic Le Roy, Opération archéologique sur la villa « Temple de Vénus », Béziers, 2009.
Félix Mouret, « Le temple de Vénus près de Vendres et son Emporium phocéen de Ville-Longue. Les Latoniens de Longos ou Longostalètes. Premier essai sur nos Origines », Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers, 1913, pp. 376-441.
Karine Roger, « Vendres, le Temple de Vénus » in Ch. Pellecuer (dir.), Formes de l’habitat rural en Gaule Narbonnaise, 1, 1993.
Daniela Ugolini, in D. Ugolini, Ch. Olive (dir.), Carte archéologique de la Gaule. Le Biterrois, 34/5, 2013, pp. 551-560.
Figures :
Figure 1 : Situation du « Temple de Vénus », image Patrimoine et Nature.
Figure 2 : Le «Temple de Vénus », dessin de Pierre Barral in Anne de Rulman, Récit des Anciens Monuments qui paraissent encore dans le despartement de la Première et Seconde Gaule Narbonnaise. Antiquités de Béziers et de Nismes1628. Récit V, Béziers Vendres, man.fs 8648, folio 23.
Figure 3 : Les deux secteurs de la villa « Temple de Vénus », partes urbana et rustica et quartier balnéaire.
Figure 4 : Zone archéologique du début du XXe siècle, Félix Mouret, 1916.
Figure 5 : Chantier archéologique du début du XXIe siècle, 2008, cliché Parc culturel du Biterrois.
Figure 6 : Plan du quartier thermal, Ludovic Le Roy.
Figure 7 : Coupes du promontoire : aménagement des niveaux, Ludovic Le Roy.
Figure 8 : Conception harmonique du plan : axes de symétrie, modules et métrique, Ludovic Le Roy.
Figure 9 : Organisation des pièces thermales.
Figure 10 : Statue d’un Eros de marbre retrouvée sur le site au XVIIe siècle par Dominique de Bonsi, dessin de Pierre Barral in Anne de Rulman.
Figure 11 : Coquille de cardium moulée, élément du décor produit sur un site voisin, Félix Mouret.
Figure 12 : Le vivier-tour : relevé archéologique, 2008, Ludovic Le Roy.
Figure 13 : Le vivier-tour : état 2008, cliché Parc culturel du Biterrois.
Figure 14 : État actuel de la conservation/valorisation du site, cliché Parc culturel du Biterrois.
Figure 15 : Panneau posé in situ (2020) : le site.
Figure 16 : Panneau posé in situ : les thermes.
Figure 17 : Panneau posé in situ : habitation et domaine.
Figure 18 : Boucle « Temple de Vénus » et aqueduc du parcours 2 de l’IDANH.
Figure 19 : Parcours 2 de l’IDANH : « Autour du Temple de Vénus : Rome entre dunes et garrigue ».
Figure 20 : Restitution 3D de la villa, Georges Tirologos/Parc culturel du Biterrois.
Figure 21 : Restitution 3D : quartier thermal et vivier, Georges Tirologos/Parc culturel du Biterrois.
Figure 22 : Restitution 3D : vue de la villa depuis l’étang, Georges Tirologos/Parc culturel du Biterrois.
Figure 23 : restitution 3D : la villa et son domaine, Georges Tirologos/Parc culturel du Biterrois.