Le site de Torre Llauder est probablement le meilleur exemple d’une villa romaine conservée dans le Maresme : une résidence de luxe qui combine activité agricole et les plaisirs d’un dominus. Sa localisation, très proche de la cité romaine d’Iluro (Mataró), située à quelque 1,2 km, permet de la considérer comme une villa sub-urbaine, bien que sa proximité avec la ligne de côte permettrait également d’y voir une villa maritime. Connue dès le XVIIIe siècle, elle a bénéficié, dans les années 1960, sous la menace des changements urbanistiques induits par la ville de Mataró, d’une fouille en extension qui a cherché à délimiter un secteur de sa pars urbana en vue de créer un parc archéologique visitable. Malheureusement, la protection n’a pas concerné tous les secteurs de la villa, de sorte que certaines structures ont été perdues sans pouvoir être étudiées et que d’autres restent à découvrir.
Le site fait actuellement partie du centre du patrimoine « Museu de Mataró. Enceinte archéologique Torre Llauder », géré par la municipalité.
Les structures archéologiques
La villa a été construite à l’époque augustéenne, précédée par une exploitation viti-viticole conservée sous des structures résidentielles. La chronologie de ce centre de production peut être située autour des années 40 av. J.-C. Un four de type II-C (Cuomo di Caprio) est conservé, qui a produit des amphores Pascual 1 et quelques Dressel 2/4. On peut supposer que le démarrage de ce négoce viticole et artisanal (céramiques et matériaux de construction) a permis à son propriétaire ou à ses descendants, quelque temps après, de construire la villa proprement dite.
La villa se distribuait sur trois terrasses, dont est conservée une partie de la terrasse haute correspondant à une zone résidentielle organisée autour d’un péristyle et d’un patio rustique. Une fouille limitée sur la terrasse centrale a mis au jour quelques pièces à mosaïque d’époque augustéenne ou tibérienne, mais on ignore pratiquement tout de cette zone, comme de la terrasse inférieure. La partie résidentielle, autour du péristyle, abrite dans l’aile ouest un appartement de réception et, dans l’aile nord, des structures balnéaires. Du point le plus élevé de la villa, on devait jouir des meilleures vues sur la côte, située à quelques mètres. L’appartement de réception comprend un patio à ciel ouvert, où quatre colonnes entouraient un bassin central, quatre pièces nobles donnant sur l’ensemble. Un couloir reliait le patio au péristyle, dont la mosaïque recouvrait une canalisation qui conduisait l’eau de la fontaine au jardin. L’ensemble, richement décoré de mosaïques, parements et éléments architecturaux sculptés en marbre, d’enduits peints muraux, articulait la partie centrale du bâtiment et conduisait à la salle principale. Sur le côté nord du péristyle, se trouvaient les thermes domestiques, de dimensions notables, qui pourraient être datés dans le courant du Ier siècle de notre ère, sans que l’on puisse préciser davantage.
La villa a connu un grand remaniement au début du IIIe siècle, à l’époque sévérienne, avec la réfection de l’appartement de réception, dont témoigne un nouveau pavement mosaïqué de haute qualité. Il s’agit du dernier moment documenté de la construction résidentielle. La seule exception est l’ajout d’une exèdre à la salle principale, dont les techniques constructives sont plutôt rudimentaires, les bains étant abandonnés vers la fin du IIIe siècle, voire dans le courant du IVe. Les autres salles de ce complexe ont connu une ruralisation drastique, se convertissant en cella vinaria, à un moment impossible à préciser. Nous connaissons l’abandon de la salle de réception, fin Ve ou première moitié du VIe, qui correspond aussi à l’oblitération des 18 dolia defossa qui avaient été installés dans la pièce attenante, perforant la mosaïque.
Malheureusement, on connaît mal le reste de la pars fructuria, qui n’a pu être protégée de l’urbanisation du secteur, même si une zone de magasins et de fours de production de verre aurait pu être fouillée.
Le paysage social
Deux portraits de marbre blanc, un masculin et un féminin, d’époque augustéenne, provenant certainement d’un monument funéraire qui s’élevait près d’un axe de circulation proche, témoigne du niveau social élevé des propriétaires de la première époque. Du site, proviennent quelques documents épigraphiques qui permettent de relier la villa aux élites du territoire, y compris au-delà de celui d’Iluro, cité à laquelle appartenait l’entreprise. Des fouilles non stratigraphiques, provient un graffiti sur une T.S. Hispanica Drag. 27 daté entre 85 et 100 de notre ère, portant la légende Heren(n)io L(uci) l(iberto) restituit, qui renvoie à un affranchi de cette gens. Ce personnage peut être mis en relation avec la marque L.HER. OP, présente sur des tegulae produites dans la villa. Il s’agit d’un producteur de tegulae connu sur la côte entre le Rhône et la Segura, dont Torre Llauder localisait probablement une de ses officinae. De plus, à Barcino, l’épigraphie documente un C. Herennius Optatus, un amicus du riche affranchi Lucius Licinius Secundus, ce qui pourrait indiquer une connexion de cette gens avec le territoire du littoral central catalan. Du site, provient également une inscription datée du milieu du IIe siècle (IRC I 103), probablement funéraire, qui mentionne C. Marius Aemilianus. Nous connaissons de lui une autre inscription, trouvée à Barcino (IRC IV 43), qui indique son statut de duumvir de la colonie. Il s’agit donc d’un cas probable de propriétaire foncier qui possédait des domaines dans plusieurs cités et qui, résidant à Barcino, possédait un domaine dans les environs d’Iluro. On peut aussi penser que ce domaine, qui appartenait initialement à la gens Herennia, serait passé aux mains des Marii dans le cadre des changements habituels de propriété des élites romaines. Comme dans le cas de Veral de Vallmora, il semble clair que les grandes familles de Barcino possédaient des domaines sur la côte du Maresme, comme c’est encore le cas aujourd’hui.
La valorisation du site
Torre Llauder était un domaine important à l’époque moderne, construit autour d’une tour de défense du XVIe siècle. Au début des années 1960, des interventions archéologiques ont pu documenter son implantation sur une villa alto-impériale. Malheureusement, le domaine a été démoli à la fin des années 1960, lorsque la croissance de Mataró a conduit à l’urbanisation de la région. N’a alors pu être sauvée que la surface correspondant à une partie de la pars urbana de la villa, actuellement conservée comme espace muséal. Nous savons cependant que la villa occupait un secteur beaucoup plus vaste et, ces dernières années, il a été possible de fouiller certains secteurs qui, par hasard, ont été préservés de la destruction complète, documentant certains espaces de la pars rustica. Comme il était usuel dans les années 1960-70, la valeur d’un site romain se mesurait à ses mosaïques et à ses éléments de luxe, ce qui a entraîné la perte des espaces productifs plus simples.
En 2010, une tente a été construite, qui a permis de conserver et d’exposer in situ les riches mosaïques de la villa.
BIBLIOGRAPHIE
M. Prevosti, J.F. Clariana (2010) “Torre Llauder. Figlina amphoralis” Rei Cretariæ Romanæ Favtorvm Acta 41, 2010, pp. 481-489.
M. Ribas (1966) La villa romana de la Torre Llauder de Mataró. Excav. Arqu. España 47, Madrid.






