Comme tant d’autres, Volney (1857-1820) (Fig.1) est compris dans la condamnation sans appel que prononce Edward Saïd à l’encontre de ces chasseurs d’Orient venus d’Occident auxquels il ne prête que des vues étroites, pétries d’une inentamable suffisance, quand ce ne sont pas des intentions impérialistes qu’il n’hésite donc pas à imputer à un Volney qui ne verrait selon lui « dans le Proche-Orient » que « l’endroit où réaliser les ambitions coloniales de la France ». À l’en croire, le Voyage en Égypte et en Syrie, auquel Volney sacrifie de 1783 à 1785 (Fig.2), et dont la relation paraît en 1787, mettrait au banc d’essai cette politique expansionniste aussi, plutôt que de retenir le caractère séminal pour l’imaginaire romantique du voyage en Orient où devaient le suivre tant d’autres pèlerins, de Chateaubriand à Lamartine, Nerval, Flaubert ou Gautier (Fig.3), Saïd préfère insister sur la dimension stratégique du propos, mettant en avant ce que lui doit l’expédition d’Égypte et relevant que « [c]e que Bonaparte trouvait d’utile dans Volney, c’était l’énumération, par ordre croissant de difficulté, des obstacles qu’une force expéditionnaire rencontrerait en Orient ». Dont acte.
Il est vrai que Volney semble donner des gages aux partisans de l’agression en écrivant :
« L’Égypte est le sol le plus fécond de la Terre, le plus facile à cultiver, le plus certain dans ses récoltes ; l’abondance n’y dépend pas, comme en Morée et dans l’île de Candie, de pluies sujettes à manquer ; l’air n’y est pas malsain comme en Chypre, et la dépopulation n’y règne pas comme dans ces trois contrées. L’Égypte, par son étendue, est égale aux deux tiers de la France, et par sa richesse elle peut en surpasser deux ou trois fois le revenu ; elle réunit toutes les productions de l’Europe et de l’Asie, le blé, le riz, le coton, le lin, l’indigo, le sucre, le safran, etc., et avec elle seule nous pourrions perdre impunément toutes nos colonies ; elle est à la porte de la France, et dix jours conduiront nos flottes de Toulon à Alexandrie ; elle est mal défendue, facile à conquérir et à conserver. Ce n’est point assez de tous ces avantages qui lui sont propres, sa possession en donne d’accessoires qui ne sont pas moins importants. Par l’Égypte nous toucherons à l’Inde, nous en dériverons tout le commerce dans la mer Rouge, nous rétablirons l’ancienne circulation par Suez et nous ferons déserter la route du Cap de Bonne-Espérance. Par les caravanes d’Abyssinie, nous attirerons à nous toutes les richesses de l’Afriques intérieure, la poudre d’or, les dents d’éléphants, les gommes, les esclaves : les esclaves seuls feront un article immense, car tandis qu’à la côte de Guinée ils nous coûtent 800 livres la tête, nous ne les paierons au Caire que 150 livres, et nous en rassasierons nos îles. En favorisant le pèlerinage de La Mecque, nous jouirons de tout le commerce de la Barbarie jusqu’au Sénégal, et notre Colonie ou la France elle-même deviendra l’entrepôt de l’Europe et de l’Univers ».
Avant de tempérer les enthousiasmes : « Il faut l’avouer ; ce tableau qui n’a rien d’exagéré est bien capable de séduire, et peu s’en faut qu’en le traçant le cœur ne s’y laisse entraîner : mais la prudence doit guider même la cupidité ; et avant de courir aux amorces de la fortune, il convient de peser les obstacles qui en séparent, et les inconvénients qui y sont attachés ». Car pourquoi conquérir l’Égypte ? « Pour enrichir quelques individus à qui la faveur y donnera des commandements ; qui n’useront de leur pouvoir que pour y amasser des fortunes scandaleuses ; qui même avec de bonnes intentions ne pourront suivre aucun plan d’administration favorable au pays ». L’histoire en fait foi : « [l]e passé prouve pour l’avenir. Depuis François Ier, pas un seul de nos établissements n’a réussi, au Milanais, à Naples, en Sicile, dans l’Inde, à Madagascar, à Cayenne, au Mississippi, au Canada, partout nous avons échoué ».
C’est non seulement le pragmatisme bien entendu qui invite à la prudence mais bien une position éthique qui commande l’abstention, au nom des droits humains à vivre dans la paix et la fraternité :
« Depuis deux cents ans l’on a beaucoup vanté le commerce ; mais si l’on examinait ce qu’il a ajouté de réel au bonheur des Peuples, l’on modérerait cet enthousiasme. À dater de la découverte des deux Indes l’on n’a pas cessé de voir des guerres sanglantes causées par le commerce et le fer et la flamme ont ravagé les quatre parties du globe pour du poivre, de l’indigo, du sucre et du café ».
C’est donc peut-être aller un peu vite en besogne que de nier tout mobile autre que l’impérialisme à un Volney qui plaide inlassablement pour les vertus propédeutiques du voyage, lieu géométrique d’un décloisonnement qu’il ne cesse de défendre, soutenant qu’« il faut communiquer avec les hommes que l’on veut approfondir, [...] épouser leurs situations afin de sentir quels agents influent sur eux, quelles affections en résultent ; [...] vivre dans leur pays, apprendre leur langue, pratiquer leurs coutumes ». Toutes « conditions » qui « manquent souvent aux voyageurs » alors même qu’elles s’imposent pour qui entend « vaincre [les préjugés] que l’on porte », lesquels informent et déforment une vision que Volney sait subjective mais ne demande qu’à élargir, confiant dans la valeur heuristique du voyage en terre inconnue qui ne déplace pas que les personnes mais bien aussi les lignes qui façonnent les mentalités, comme, dans L’Histoire de Samuel (1819), son voyageur américain fictif, de retour d’Orient, le mande à un correspondant : « Je ne saurais vous exprimer », note-t-il,
« le changement que cette tournée de quelques mois a produit dans mon esprit, et surtout dans mes opinions [...] ; presque rien de tout ce que j’ai vu n’a ressemblé aux images que je m’en était faites, aux idées que nous en donne notre éducation... Aujourd’hui, il m’est démontré que nous autres Occidentaux n’entendons rien aux choses d’Asie : les usages, les mœurs, l’état domestique, politique, religieux, des peuples de cette contrée, diffèrent tellement des nôtres, que nous ne pouvons nous les représenter sur de simples récits ».
Surtout si ces récits sont le fait de « voyageurs romanciers » prompts à se laisser fasciner par les mirages qui font la séduction de l’Orient et, tel Claude Savary, qui l’a précédé en Égypte de 1776 à 1780 d’où il a rapporté des Lettres sur l’Égypte (1785) qui venaient alors de paraître, enclins à rapporter leur expérience aux grâces envoûtantes que décrivent les Mille et une nuits (Fig.4).
Contre l’adultération littéraire de la réalité, Volney, qui entend se prémunir contre toute distorsion par l’aridité scrupuleuse de son style, plaide pour l’expérience directe, seule à même de dessiller qui a d’abord été désorienté par la mise à bas de son système référentiel : « il faut avoir vu soi-même les objets pour en saisir les rapports ». Il faut aussi sortir de sa zone de confort et rompre avec les commodités de l’entre-soi, faute de quoi : « on passerait sa vie entière dans un pays, si l’on se tient clos dans son palais, et que l’on ne fréquente que des gens de sa nation, l’on reviendra sans avoir pris de vraies connaissances ».
De tels propos, récurrents chez lui, font clairement litière des accusations d’ethnocentrisme dont Saïd prétend charger un Volney qui ne cesse pourtant de militer en faveur du relativisme culturel, en homme des Lumières appliqué à s’affranchir de tout préjugé au nom d’une idée égalitariste et universaliste de l’humain qui subsume des différences qu’il refuse expressément de rapporter à un état de nature. S’il est admis que « [l]orsqu’un Européen arrive en Syrie, et même en général en Orient, ce qui frappe le plus dans l’extérieur des habitants est l’opposition presque totale de leurs manières aux nôtres » au point que « l’on dirait qu’un dessein prémédité s’est plu à établir une foule de contrastes entre les hommes de l’Asie et ceux de l’Europe », ce constat n’appelle nul jugement ni n’entérine une quelconque hiérarchisation entre les civilisations mais commande bien plutôt l’analyse : « Pour la foule des voyageurs ces contrastes ne sont que bizarres ; mais pour des philosophes, il pourrait être intéressant de rechercher d’où est venue cette diversité d’habitudes dans des hommes qui ont les mêmes besoins, et dans des peuples qui paraissent avoir une origine commune ».
Bibliographie :
Jean Gaulmier, L’Idéologue Volney (1757-1820). Contribution à l’histoire de l’orientalisme en France, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1951.
Laure Lévêque, « Ruines et civilisation : la Méditerranée dans l’idéologie de Volney », in L. Lévêque, Ph. Bonfils, Y. Kocoglu, Th. Santolini, D. van Hoorebeke (dir.), L’Espace euro-méditerranéen entre conflits et métissages. Rencontres, échanges, représentations, Paris, L’Harmattan, 2015, pp. 37-53.
Edward W. Saïd, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Seuil, « Points », 2003 [1978].
Volney, Considérations sur la guerre actuelle des Turcs, Londres, 1788, pp. 122-129.
Volney, Voyage en Égypte et en Syrie, pendant les années 1783, 1784 et 1785, in Œuvres complètes de Volney, Paris, Didot frères, 1837.
C.-F. Volney, Les Ruines ou méditations sur les révolutions des empires suivies de La Loi naturelle, Paris, Décembre-Alonnier Libraire Éditeur, 1869. Les citations données dans ce parcours vont à cette édition.
Et si le Voyage en Égypte et en Syrie n’ignore pas les tiraillements idéologiques entre une conception universaliste puisée aux Lumières qui conduit à affirmer que « les hommes de tous les temps sont unis par les mêmes intérêts et les mêmes jouissances » et la force des choses vues qui a valeur de puissant correctif, c’est la quête des principes aux sources de cette différenciation dans les mœurs et les habitus culturels comme dans les modes de développement historiques qui anime inlassablement Volney dans ses pérégrinations, orientales comme occidentales puisque un même discours de la méthode prévaut au Levant comme au Ponant, comme le devait le montrer l’enquête menée outre-Atlantique entre 1795 et 1798 et publiée en 1803 sous le titre de Tableau du climat et du sol des États-Unis d’Amérique (Fig.5). Un examen qui, « participe d’une volonté de soumettre la recherche [...] à un régime de “scientificité” que l’érudition seule n’est plus en mesure d’apporter » et qui réside désormais dans « la constitution de données empiriques assurées par des Tableaux ou des Enquêtes » auxquels Volney donne un corps théorique en mars 1795 en publiant ses Questions de statistiques à l’usage des voyageurs qui développent un appareil critique de type sociologique au travers de 135 questions très pointues qui embrassent géographie physique, climat, pédologie, ressources naturelles, commerce et industrie, population et démographie, structure familiale, pratiques culturelles, organisation politique...
Symptomatiques de ce « moment idéologique » si fécond qui s’accompagne d’un renouvellement épistémologique enté sur des critères de type phénoménologique qui se veulent aussi objectifs que possible, ces questions, dans leur sécheresse scientifique, dans leur caractère multifactoriel aussi, témoignent de ce que cet admirateur de Voltaire – Volney, le pseudonyme que se choisit Constantin-François Chassebœuf, serait la contraction de Voltaire et de Ferney –, se souvient aussi de Montesquieu, mais moins pour ses spéculations sur la théorie des climats que pour avoir imposé de penser la corrélation peuples, mœurs et formes du gouvernement. Et tel est bien, en effet, le critérium qui s’impose comme le plus pertinent à l’horizon de l’œuvre volneyienne où la dimension géopolitique a part, au moins autant que l’anthropologie.
De fait, le biais, si l’on voulait à toute force en voir un, résiderait dans le contexte de production du texte, très redevable à la situation éminemment spécifique que vit alors la France dans ces entours de la Révolution où le cours pris par les événements allait imposer de penser la spécificité, voire l’exceptionnalité, du destin français, qui se met alors à trancher sur tout autre mode de développement, oriental aussi bien qu’occidental du reste, sans exclusive ni privilège politique...
Bibliographie :
Philippe Bourdin, « Construction et expérimentation d’une méthode historique : le Nouveau-Monde selon Volney », Annales historiques de la Révolution française, n° 390, 2017/4, pp. 99-127.
Silvia Collini et Antonella Vannoni (éds.), Les instructions scientifiques pour les voyageurs (XVIIe-XIXe s.), Paris, L’Harmattan, 2005, coll. « Histoire des sciences humaines ».
Jean Gaulmier, L’Idéologue Volney (1757-1820). Contribution à l’histoire de l’orientalisme en France, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1951.
Laure Lévêque, « Ruines et civilisation : la Méditerranée dans l’idéologie de Volney », in L. Lévêque, Ph. Bonfils, Y. Kocoglu, Th. Santolini, D. van Hoorebeke (dir.), L’Espace euro-méditerranéen entre conflits et métissages. Rencontres, échanges, représentations, Paris, L’Harmattan, 2015, pp. 37-53
Mario Pinna, « Un aperçu historique de la “théorie des climats” », Annales de géographie, t. 98, n° 547, 1989, pp. 322-325.Volney, Considérations sur la guerre actuelle des Turcs, Londres, 1788, pp. 122-129.
Volney, Voyage en Égypte et en Syrie, pendant les années 1783, 1784 et 1785, in Œuvres complètes de Volney, Paris, Didot frères, 1837.
Dès lors, loin du soupçon opportuniste de menées impérialistes qu’agite Saïd, Jean Gaulmier, contre Volney lui-même qui met son voyage au compte d’un héritage opportun, en recherche le motif dans une explication que Volney ne mentionne que subsidiairement – « considérant les circonstances politiques où l’Empire turc se trouve depuis vingt ans, et méditant sur les conséquences qu’elles peuvent avoir, ce me parut un objet piquant de curiosité, de prendre des notions exactes de son régime intérieur, pour en déduire ses forces et ses ressources » – et Gaulmier, qui souligne n’avoir pas trouvé trace de la succession alléguée, d’orienter les mobiles du voyage vers d’autres pistes, plus immédiatement politiques, en ces temps où la sixième guerre russo-turque (1768-1774) (Fig.6) vient de révéler au grand jour la déliquescence de l’Empire ottoman, dont s’inquiète le ministre Choiseul, préoccupé des « révolutions prochaines ou éloignées dont il est menacé », au risque de déstabiliser l’équilibre des puissances en Europe. Une hypothèse où la France, tout en conservant à son allié turc les apparences de la loyauté, devrait se préparer à tirer son épingle du jeu si l’Empire ottoman venait à se déliter. Et Lauzun, neveu de Choiseul, de souligner que ce grand jeu constituait « le roman politique qui occupait le plus souvent ses rêveries », au grand dam de Vergennes, ambassadeur auprès de la Sublime Porte, enclin à une diplomatie plus attentiste et semble-t-il, rappelé pour cela par son ministre de tutelle en 1768. Dès lors, Volney aurait été chargé d’une mission secrète propre à seconder la politique de Vergennes, ministre des Affaires Étrangères de 1774 à 1787 et qui, face à l’homme malade qu’est déjà l’Empire ottoman, même s’il n’est pas encore replié sur l’Europe, « occupé [...] par les affaires d’Amérique », « souhait[e] le statu quo en Europe orientale et en Méditerranée » contre les vues aventureuses de son homologue de la Marine, Sartine, qui a dépêché le baron de Tott (Fig.7) en mission, d’où il est revenu assuré du peu de moyens militaires qu’exigerait pour la France la conquête de l’Égypte.
Les tiraillements entre Choiseul et Vergennes sont représentatifs des deux politiques qui, durant ces années cruciales, retiennent ceux qui tiennent les rênes de la diplomatie française, l’une, qui entend bien tirer avantage des difficultés du Sultan pour arracher quelque conquête territoriale, l’autre qui s’emploie à maintenir les équilibres, contre les appétits de la Russie de Catherine II et de l’Autriche de Joseph II. Choiseul est sur la ligne offensive, comme Saint-Priest, qui succède à Vergennes comme ambassadeur à Constantinople de 1769 à 1784, comme Sartine aussi, le Secrétaire d’État à la Marine et, comme tel, en charge des relations avec les Échelles du Levant. Vergennes, qui sera ministre des Affaires étrangères de Louis XVI de 1774 à 1787, penche pour temporiser, ayant médité son Montesquieu, qui affirmait :
« L’empire des Turcs est à peu près dans le même état de faiblesse qu’était autrefois celui des Grecs, mais il subsistera longtemps, car si quelque prince que ce fût mettait cet empire en péril en poursuivant ses conquêtes, les trois puissances concurrentes de l’Europe connaissent trop leurs affaires pour n’en pas prendre la défense sur le champ ».
Contre la politique belliciste à laquelle Vienne, pressée de dépecer un empire moribond, pourrait être tentée de céder, Vergennes met en garde :
« Où en serait l’Europe, si, jamais, ce qu’à Dieu ne plaise ! ce monstrueux système venait à s’accréditer ? Tous les liens politiques seraient dissous, la sûreté publique serait détruite et l’Europe n’offrirait bientôt plus qu’un théâtre de troubles et de confusion ».
Et ce quand bien même, en 1791, l’épicentre de ces troubles et de cette confusion qui inquiètent l’Europe doit être déporté bien plus à l’Ouest.
Arrière-cour de la compétition entre les puissances européennes, l’Orient est pris dans leur Grand Jeu. Aussi, dès 1774, certains, au ministère de la Marine, poussent-ils à la conquête de l’Égypte, notamment pour faire pièce à l’ambition prêtée à Catherine de capitaliser sur sa politique philhellène pour rétablir à son profit l’Empire d’Orient. En 1776, cette mesure sera à nouveau défendue par le baron de Tott, auteur d’un mémoire intitulé Examen de l’état physique et politique de l’empire ottoman, qui conclut que l’Égypte est habitée par « un peuple mol qui se soumet toujours au premier esclave qui a la volonté de lui commander ». La résistance, plaide-t-il, soutenu par Saint-Priest, est d’autant moins à craindre que « les beys, esclaves étrangers » qui dirigent le pays, « sont en horreur aux naturels ». La seule riposte à craindre pourrait venir des Anglais mais, en 1776, on peut tabler qu’ils seront trop accaparés par leurs affaires du front américain pour songer à intervenir.
Toutes les difficultés qui pourraient s’élever sont envisagées : convertir l’agression en « expédition juste et conséquente » en la prétendant motivée par le recouvrement de la dette contractée par « les Pachas et les Beys d’Égypte » auprès de la France, après que Constantinople se sera déclarée impuissante à obtenir le remboursement de ces emprunts ; prendre toutes les dispositions stratégiques pour sécuriser la conquête en s’emparant d’Alexandrie, non défendue par des fortifications, avant d’en construire soi-même pour parer à tout débarquement ennemi et avoir les mains libres à l’intérieur. Alors, « le gouvernement sera réduit aux troupes ottomanes et aux Mameluks ou esclaves, parce qu’il est indifférent aux Égyptiens de subir le joug d’une puissance étrangère ou de rester asservis à la tyrannie des beys et des Ottomans ». En avril 1777, de Tott est envoyé en mission de reconnaissance pour évaluer la faisabilité des opérations. De retour en France en juillet 1778, il rédige un rapport qui, remis début 1779, engagera à faire main basse sur l’Égypte, proie facile.
L’hypothèse de Gaulmier est que Vergennes, gêné par un rapport recueillant bien des suffrages qui soutenait une option en rupture avec sa politique d’appeasement, aurait chargé Volney, alors « seule voix discordante », d’une contre-mission. Une hypothèse que semble bien valider la logique même de l’ouvrage, qui fait la part belle aux considérations stratégiques et à un état des lieux des forces égyptiennes. Contre les certitudes va-t-en-guerre de de Tott, Volney met en garde contre toute tentative d’escalade qu’entraînerait une annexion française de l’Égypte, qui supposerait trois guerres :
« La première de la part de la Turkie ; car la religion ne permet pas au sultan de livrer à des infidèles ni les possessions, ni les personnes des vrais croyants ; la seconde de la part des Anglais ; car l’on ne supposera pas que cette nation égoïste et envieuse nous voie tranquillement faire une acquisition qui nous donnerait sur elle tant de prépondérance, et qui détruirait sous peu toute sa puissance dans l’Inde ; la troisième enfin de la part des naturels de l’Égypte, et celle-là, quoiqu’en apparence la moins redoutable, serait en effet la plus dangereuse. L’on ne compte de gens de guerre que 6 à 8.000 Mameluks ; mais si les Francs, si des ennemis de Dieu et du Prophète osaient débarquer, Turks, Arabes, paysans, tout s’armerait contre eux [...]. Mais je suppose les Mameluks exterminés et le peuple soumis, nous n’aurons encore vaincu que les moindres obstacles ; il faudra gouverner ces hommes, et nous ne connaissons ni leur langue, ni leurs mœurs, ni leurs usages ; il arrivera des malentendus qui causeront à chaque instant du trouble et du désordre. Le caractère des deux nations, opposé en tout, deviendra réciproquement antipathique : nos soldats scandaliseront le peuple par leur ivrognerie, le révolteront par leur insolence envers les femmes : cet article seul aura les suites les plus graves. Nos officiers mêmes porteront avec eux ce ton léger, exclusif, méprisant, qui nous rend insupportable aux étrangers, et ils alièneront tous les cœurs. Ce seront des querelles et des séditions renaissantes : on châtiera, en s’envenimera, on versera le sang, et il nous arrivera ce qui est arrivé aux Espagnols dans l’Amérique, aux Anglais dans le Bengale, aux Hollandais dans les Moluques, aux Russes dans les Kouriles ; nous exterminerons la Nation : nous avons beau vanter notre douceur, notre humanité, les circonstances font les hommes [...] et l’expérience a pesé sur nous-mêmes que notre joug n’était pas moins pesant qu’un autre. Ainsi l’Égypte n’aura fait que changer de Mameluks et nous ne l’aurons conquise que pour la dévaster ».
Bibliographie :
Hélène Carrère d’Encausse, « Le rêve grec de Catherine II », Cahiers de la Villa Kérylos, 18, 2007, pp. 1-8.
François Charles-Roux, « Le projet français de conquête de l’Égypte sous le règne de Louis XVI », in Mémoires présentés à l’Institut d’Égypte, t. 14, Le Caire, Imprimerie de l’Institut français d’Archéologie orientale, 1929.
Jean Gaulmier, L’Idéologue Volney (1757-1820). Contribution à l’histoire de l’orientalisme en France, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1951.
Théophile Lavallée, Histoire de l’empire ottoman depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, Paris, Garnier frères, 1855.
Laure Lévêque, « Ruines et civilisation : la Méditerranée dans l’idéologie de Volney », in L. Lévêque, Ph. Bonfils, Y. Kocoglu, Th. Santolini, D. van Hoorebeke (dir.), L’Espace euro-méditerranéen entre conflits et métissages. Rencontres, échanges, représentations, Paris, L’Harmattan, 2015, pp. 37-53.
Gaston Maugras, Le duc de Lauzun et la cour de Marie-Antoinette, Paris, Plon, 1895, p. 354.
Pierre Rain, La diplomatie française d’Henri IV à Vergennes, Paris, Plon, 1945.
Ferenc Tóth, « Un Hongrois en Égypte avant Napoléon. La mission secrète du baron de Tott », Revue historique des armées, 270, 2013, pp. 14-22.
Volney, Considérations sur la guerre actuelle des Turcs, Londres, 1788, pp. 122-129.
Volney, Voyage en Égypte et en Syrie, pendant les années 1783, 1784 et 1785, in Œuvres complètes de Volney, Paris, Didot frères, 1837
C.-F. Volney, Les Ruines ou méditations sur les révolutions des empires suivies de La Loi naturelle, Paris, Décembre-Alonnier Libraire Éditeur, 1869.
En tenant ces propos dans ses Considérations sur la guerre des Turks, Volney se montrait on ne peut plus clair dans sa condamnation de l’impérialisme. Et pur de tout ethnocentrisme. Au reste, sa méditation sur le destin des sociétés Volney ne l’appuie ni sur la Grèce ni sur l’Italie, référents alors dominants, mais sur un Orient (re)visité, orée des civilisations dont le devenir impose de s’interroger quand le moment révolutionnaire concourt en France à refonder l’histoire et les bases de l’universalité.
De cette vision résolument ouverte, novatrice et constructive, témoignent aussi bien un texte dont la réception, lors de sa publication, en 1791, a été fracassante, Les Ruines (Fig.8), que le Voyage en Égypte et en Syrie dont la relation documente en les confrontant conscience européenne et réalités des bords asiatiques et africains. Perspective comparatiste qui enferme le code herméneutique des Ruines et, déjà, celui du voyage de 1787 quand, de retour en France après une absence de trois ans, Volney constate :
« La vue de mon pays a presque produit sur moi l’effet d’une terre étrangère : je n’ai pu me défendre d’un sentiment de surprise quand, traversant nos provinces de la Méditerranée à l’Océan, au lieu de ces campagnes ravagées et des vastes déserts auxquels j’étais accoutumé, je me suis vu transporté comme dans un immense jardin, où les champs cultivés, les villes peuplées, les maisons de plaisance ne cessent de se succéder pendant une route de vingt journées. En comparant nos constructions riches et solides aux masures de briques et de terre que je quittais ; l’aspect opulent et soigné de nos villes, à l’aspect de ruine et d’abandon des villes turkes ; l’état d’abondance, de paix, et tout l’appareil de puissance de notre empire, à l’état de trouble, de misère et de faiblesse de l’empire turk, je me suis senti conduit de l’admiration à l’attendrissement, et de l’attendrissement à la méditation. “Pourquoi tant de vie et d’activité ici, et là tant d’inertie et d’abandon ? pourquoi tant de différence entre les hommes de la même espèce” ? ».
Revenu en France pour prendre part à l’aventure révolutionnaire – élu député du Tiers, il participe à la rédaction de la Constitution (Fig.9) –, son expérience se nourrit aux courants contraires d’un sens du relativisme symptomatique de cette crise de la conscience européenne qui s’accuse tout au long du XVIIIe siècle et de l’assomption d’une vision de la Grande Nation qu’on ne peut pas ne pas dire hégémonique, que semble confirmer l’éruption révolutionnaire forte des espérances qui l’entourent très au-delà du sol français. Ces tiraillements participent de la position des Lumières, porteuse d’idéaux généreux à valeur universelle mais dont l’incarnation, particulière, est strictement européenne. Là réside la portée de l’œuvre de Volney, qui n’ignore pas les points aveugles de l’idéologie des Lumières et n’hésite pas à les mettre sous tension – singulier vs. collectif, particulier vs. universel, civilisation vs. barbarie : « la civilisation deviendra générale », « l’espèce entière deviendra une grande société, une même famille gouvernée par un même esprit, par de communes lois, et jouissant de toute la félicité dont la nature humaine est capable », mais cela suppose que « l’exemple d’un premier peuple sera suivi par les autres » et qu’« ils adopteront son esprit, ses lois ». En d’autres termes, l’émancipation générale repose sur le leadership d’un élément plus avancé. Il en va, au sens propre, d’une aristocratie démocratique. Il y a là, pour le futur auteur des Leçons d’histoire, bien des enseignements à méditer et comme un clair-obscur jeté sur les Lumières.
Pourtant, quittant le cabinet pour l’objectivité du terrain et partant à la découverte de l’Autre dont – indice des positions égalitaires qui sont les siennes – il a soin d’apprendre la langue – d’abord à Paris puis, bien forcé de constater qu’un tel enseignement ne le met pas à même de communiquer, in situ –, Volney avait fait litière des préjugés les plus ancrés, tel le despotisme oriental (Fig.10) que reçoit encore Montesquieu, que ce soit pour balayer régimes et États qui en réaliseraient les modernes incarnations dans ses écrits théoriques (L’Esprit des lois, 1748) ou, dans le registre plus décalé de la fiction (Les Lettres persanes, 1721), pour creuser la distanciation et regarder l’Autre, non plus en huron, mais en alter ego. D’autant que l’universalisme professé commande un décentrement qui, bouleversant les réflexes hégémoniques, y compris en matière épistémologique, éclatera dans les Leçons d’histoire :
« plus j’ai étudié l’antiquité et ses gouvernements si vantés, plus j’ai conçu que celui des Mamlouks d’Égypte et du dey d’Alger ne différaient point exactement de ceux de Sparte et de Rome ; et qu’il ne manque à ces Grecs et à ces Romains tant prônés que le noms de Huns et de Vandales pour nous en retracer tous les caractères. Guerres éternelles, égorgement de prisonniers, massacre de femmes et d’enfants, perfidies, factions intérieures, tyrannie domestique, oppression étrangère : voilà le tableau de la Grèce et de l’Italie pendant cinq cents ans ».
Mais certains sont décidément plus égaux que d’autres et, lors même que Volney ouvre au maximum le spectre référentiel (France, Angleterre, Russie, Amérique, Empire ottoman...), le principe organisateur du système demeure à Paris. Parce que la tradition européocentriste est enracinée, assurément, mais aussi parce que l’horizon ultime de penseurs comme Volney demeure national, avec ce précédent absolument inédit que détermine la Révolution française.
C’est dès la création des Écoles Normales de l’An III que Volney, en charge des leçons d’histoire, aura l’occasion de réfléchir ses principes et ses voies. Il s’y positionne dans la logique d’un Condorcet qui, dans les projets que conservent ses Mémoires, envisage, pour former les jeunes esprits, de recruter des « professeur[s] de géographie et d’histoire philosophique des peuples », en même temps qu’un décret prévoit, le 10 germinal An III (30 mars 1793), l’établissement d’une « école publique » à la Bibliothèque nationale, où serait dispensé l’enseignement de l’arabe, du turc et du persan.
Si l’avènement de la loi naturelle et de l’idéologie des droits de l’homme œuvrent à substituer aux anciens antagonismes les bases d’un contrat social harmonieux et avantageux à tous, Volney confie également à la philologie – cette branche qui, au XIXe siècle, entre comparatisme, racines communes et remontée au substrat, deviendra l’un des bras armés de l’orientalisme – le beau dessein de rapprocher les peuples. C’est dans cet esprit que Volney achève, en mars 1794, son projet de Simplification des langues orientales (Fig.11) dont le discours préliminaire porte :
« Nous ne sommes éloignés d’Alger et de Tunis que de soixante lieues de navigation ; quatorze jours seulement nous mènent en Égypte, en Syrie, en Grèce ; dix-huit à Constantinople, et cependant l’on dirait que ces peuples habitent une autre planète ; que, contemporains, nous vivons distants de plusieurs siècles ».
La faute en est à la barrière linguistique, ce que sanctionne, en 1795, la création de l’École des Langues Orientales Vivantes, prenant la suite des projets lancés par Colbert dès 1669. Et Volney ne cessera de mettre la philologie au service du rapprochement entre les peuples (Fig.12) auquel il œuvre encore, en 1819, en publiant un projet d’alphabet universel qui suppose de solides connaissances linguistiques. L’affaire est au reste dans l’air du temps et son projet prend place dans « le grand dessein de compréhension universelle qui anime les Révolutionnaires », après l’Histoire naturelle de la parole de Court de Gébelin (1776), la grammaire de Condillac ou le Nouveau système de lecture applicable à toutes les langues de Maudru (1771). Son grand rival, Savary, l’a d’ailleurs précédé sur la route d’un alphabet commun, dont Vergennes décrit sa transposition de « la prononciation de l’arabe » « imitée en lettres françaises ». Françaises, et pas même latines... de même que le projet d’alphabet universel, « grand véhicule de lumières et de civilisation », se résume finalement à un « alphabet européen appliqué aux langues asiatiques ». L’objectif de connaissance mutuelle et de rapprochement des cultures, fondamental chez lui, y est réaffirmé, fondé sur un point de vue pragmatique, conforté par l’histoire, qui a installé l’alphabet latin en position privilégiée dès le moment où Rome l’a répandu largement depuis les bords de la Méditerranée jusqu’aux confins de l’œkoumène.
Avec son projet alphabétique, Volney se situe dans un double héritage qui allie la pratique efficiente de Rome à la logique initiale des Phéniciens, pères de tous les alphabets, qui ont su passer, en bons commerçants et voyageurs, des incommodes hiéroglyphes à un alphabet dès le quatrième millénaire. C’est au reste ce qu’il décline avec son « lycée asiatique », fondé sur deux sites piliers, qui vient épauler les Langues O’. À Marseille, reconnue comme pôle de relations avec le Levant, siège un collège de professeurs natifs d’Orient qui doit être financé et géré par « le Commerce » du grand port pour dispenser des cours de turc, persan, arabe barbaresque et arabe oriental à quelque 40-50 élèves choisis, fils de diplomates et du monde des affaires, déjà en contact avec l’Orient. Cet enseignement linguistique – sachant également qu’une chaire d’arabe a été créée à Marseille en 1807 – serait efficacement doublé de matières générales, géographie, commerce, mathématiques, sciences, pour culminer, en fin d’études, par l’approche des littératures. À Paris, passage obligatoire des officiels de tous pays, souvent mal accueillis au risque de nourrir une image défavorable de la France, un collège d’une dizaine de traducteurs fonctionnerait, dont deux seraient plus spécifiquement qualifiés, l’un en hébreu, sachant aussi l’arabe et ayant quelque teinture de syriaque et d’éthiopien, l’autre en sanskrit, entendant également d’autres parlers de l’Inde. Les traducteurs seraient recrutés par concours et, dans le jury, siégeraient obligatoirement des interprètes issus de consulats français d’Orient pour assurer le niveau requis à la production de traductions réalisées dans les deux sens, français langues O’, langues O’-français, et pour former, par quelques cours privés, un petit nombre d’auditeurs privilégiés. L’objectif attendu est assez clair : un service « d’hospitalité et d’équité nationale » qui favoriserait « les intérêts du commerce et de la politique » et qui serait d’autant mieux garanti que le contrôle, comme pour l’ensemble du lycée asiatique, dépendrait d’un commissaire du ministère des Affaires étrangères ayant voyagé deux ans au moins en Barbarie ou en Orient.
Par là, Volney désertait à nouveau le cabinet savant pour œuvrer de plain-pied dans le monde, qu’il s’agisse de traductions, d’éducation et, plus largement, de connaissance de l’autre. C’est assez dire qu’au tournant des années 1790-1800, législateurs et intellectuels ont voulu se donner les moyens de vivre, ensemble et autrement, la rencontre Orient-Occident quand les Leçons d’histoire posent expressément que :
« Nos classiques d’Europe n’ont voulu nous parler que de Grecs, que de Romains, que de Juifs ; parce que nous sommes, sinon les descendants, du moins les héritiers de ces peuples pour les lois civiles et religieuses, pour le langage, pour les sciences, pour le territoire ; en sorte qu’il ne me semble pas que l’histoire ait encore été traitée avec cette universalité qu’elle comporte, surtout quand une nation comme la nôtre s’est élevée à un assez haut degré de connaissances et de philosophie pour se dépouiller de cet égoïsme sauvage et féroce qui, chez les anciens, concentrant l’univers dans une cité, dans une peuplade, y consacra la haine de toutes les autres sous le nom d’amour de la patrie au lieu de jeter sur elles un regard de fraternité, lequel, sans détruire une juste défense de soi-même, laisse cependant subsister tous les sentiments de famille et de parenté ».
Et quand bien même on peut se demander si, sous l’apparent décentrement qui comprend la civilisation sans frontière, ce ne sont pas les histoires propres qui sont vidées de leur cohérence intime pour être abordées dans une perspective régie par l’histoire universelle – globale, dirait-on aujourd’hui – et, au premier chef, européenne, auxquelles on a affaire. Ce qui pose la question du lieu d’où parle Volney, Edward Saïd l’annexant à la démarche hégémonique qui caractérise pour lui le discours orientaliste des Occidentaux – Antoine Lilti, alléguant à sa suite les « équivoques de l’européocentrisme » –, quand Henry Laurens le regarde comme un champion de l’ouverture aux cultures extra-européennes.
Car, si Volney est peu suspect d’avoir en rien prêté la main à des visées hégémoniques, il n’en reste pas moins que cette grande revue des civilisations, inversant la « renaissance orientale » chère à Quinet, ouvrira sur la conquête coloniale, en une douteuse application de la notion de progrès que Flaubert remettait rageusement sous tension en confiant ces propos à un Bouvard qui « voit l’avenir de l’Humanité en beau » :
« L’homme moderne est en progrès.
L’Europe sera régénérée par l’Asie. La loi historique étant que la civilisation aille d’Orient en Occident [...] les deux humanités enfin seront fondues ».
Pour Volney c’est indiscutable, refaçonné qu’il est par le Levant, qui, avec ces « vieux pays chargés d’expérience humaine, où confluent les races et les religions », restructure son système référentiel et modèle sa démarche comparatiste critique. Et Gaulmier écrit justement de « son action politique », « inspirée par la double horreur du despotisme et du cléricalisme », que « c’est en Orient qu’il en a puisé les principes » avant, conformément à la doctrine de Quinet, de les faire servir au bénéfice d’un monde purgé des iniquités des aventures impérialistes et, finalement, de l’Occident lui-même, quand, prophétique, il avertit :
« l’état de choses qui nous environne ne peut pas toujours durer : le temps prépare sans cesse de nouveaux changements et le siècle prochain est destiné à en voir d’immenses dans le système politique du monde entier. [...] L’Inde commence à s’agiter et pourra se purger bientôt d’une tyrannie étrangère. L’invasion de la Turquie et la formation d’une nouvelle puissance à Constantinople donneront à l’Asie une autre existence : le commerce prendra d’autres routes et la fortune des peuples sera changée. Ainsi l’empire factice que s’était fait quelques États de l’Europe sera de toutes parts ébranlé et détruit ; ils seront réduits à leur propre terre et peut-être ce coup du sort qui les alarme en sera-t-il la plus grande faveur ».
Bibliographie :
Henri Déhérain, Silvestre de Sacy, 1758-1838, ses contemporains et ses disciples, Paris, Paul Geuthner, 1938.
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, Paris, Alphonse Lemerre, 1881.
Jean Gaulmier, L’Idéologue Volney (1757-1820). Contribution à l’histoire de l’orientalisme en France, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1951.
Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne, Paris, Boivin, 1935.
Daniel Lançon, « L’idéologue Volney devant l’altérité des langues du Proche-Orient : utopies et apories », in Yves Citton et Lise Dumasy (dir.), Le moment idéologique. Littérature et sciences de l’homme, Lyon, ENS Éditions, coll. « La croisée des chemins », 2013, https://books.openedition.org/enseditions/2561?lang=fr
Laure Lévêque, « Ruines et civilisation : la Méditerranée dans l’idéologie de Volney », in L. Lévêque, Ph. Bonfils, Y. Kocoglu, Th. Santolini, D. van Hoorebeke (dir.), L’Espace euro-méditerranéen entre conflits et métissages. Rencontres, échanges, représentations, Paris, L’Harmattan, 2015, pp. 37-53.
Antoine Lilti, « “Et la civilisation deviendra générale” : l’Europe de Volney ou l’orientalisme à l’épreuve de la Révolution », La Révolution française, 4, « Dire et faire l’Europe à la fin du XVIIIe siècle », 2011.
Edgar Quinet, « De la renaissance orientale », Revue des deux mondes, 28, 1841, pp. 112-130.
Edward W. Saïd, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Seuil, « Points », 2003 [1978].
Jean-Pierre Schandeler, « Les Leçons de Volney en l’an III. Comment sauver l’histoire savante ? », in Yves Citton et Lise Dumasy (dir.), Le moment idéologique. Littérature et sciences de l’homme, Lyon, ENS Éditions, coll. « La croisée des chemins », 2013, http://books.openedition.org/enseditions/2546
Volney, Considérations sur la guerre actuelle des Turcs, Londres, 1788, pp. 122-129.
Volney, Voyage en Égypte et en Syrie, pendant les années 1783, 1784 et 1785, in Œuvres complètes de Volney, Paris, Didot frères, 1837.
C.-F. Volney, Les Ruines ou méditations sur les révolutions des empires suivies de La Loi naturelle, Paris, Décembre-Alonnier Libraire Éditeur, 1869 [1791].
Volney, Simplification des langues orientales, ou méthode nouvelle et facile d’apprendre les langues Arabe, Persane et Turque avec des caractères européens, Paris, Imprimerie de la République, An III [1794].
Volney, Leçons d’histoire, prononcées à l’École Normale en l’an III de la République française, Paris, J. A. Brosson, An VIII.
L’alfabet européen appliqué aux langues asiatiques. Simplification des langues orientales. L’hébreu simplifié par la méthode alfabétique, par C .-F. Volney, Paris, Parmantier / Froment, MDCCCVI.
- Laure Lévêque, Université de Toulon, Le Parc Culturel du Biterrois.












