Soldat de métier, Émile Driant (1855-1916) (Fig.1) connaît aussi une belle carrière littéraire sous le nom de plume de Capitaine Danrit, anagramme de son patronyme.
Celui qu’on appelle le « Jules Verne militaire » s’est fait une spécialité d’aventures martiales composées en grandes fresques où, à l’échelle de continents entiers, il recourt au motif de la guerre future en lanceur d’alerte pour frapper les esprits et, dans un contexte de montée des impérialismes et des périls, appeler au réveil de l’énergie nationale.
C’est dans cette conjoncture qu’il publie L’Invasion noire. Une première fois en 1894, au moment où, au Soudan, la révolte des mahdistes (1881-1899), désireux de fonder un émirat indépendant, met en échec l’autorité coloniale anglo-égyptienne (Fig.2), puis, dans une version remaniée, en 1913, à la veille de la Grande Guerre, comme fait question la loyauté des sujets musulmans des empires coloniaux européens en cas de conflit, qui décrypte les prémices du premier conflit mondial.
Le rideau de la première partie, intitulée « Mobilisation africaine », se lève en 1900 sur « Abd-ul M’hamed, sultan détrôné de Constantinople par les intrigues anglaises » (I, 11). À Atougha, aux confins du Congo et du Darfour (Fig.3), en terre mahdiste, il a réuni une vaste fédération ouverte aux musulmans noirs désireux de s’émanciper de la tutelle coloniale. Bien que renversé, il se pose en « chef incontesté de l’Islam » car il demeure « le grand khalife de la Mecque, le grand chérif ! », « le maître de l’Afrique musulmane, de l’Afrique du XXe siècle » (I, 11-12). S’exprimant en « arabe de l’Hedjaz », « idiome primitif des premiers croyants », pour être sûr d’être compris de tous ceux qui, du Sénégal, du Bornou, du Kordofan et des Grands-Lacs, sont venus l’écouter, il appelle au djihad (Fig.4). Au programme, « l’anéantissement de l’Europe », « la domination de l’Islam sur les royaumes infidèles », « la vengeance de l’Afrique opprimée ! De l’Afrique trop longtemps morcelée ».
Les enfants du Soudan, du Sénégal, du Congo, de Tripolitaine, du Niger et du Tchad, du Maroc à l’Égypte, de Guinée, et jusqu’au Transvaal, unis par la foi et, plus encore, par les vexations qu’ils subissent, qu’elles viennent des Anglais, des Français, des Portugais, des Allemands ou des Italiens, se rangent derrière lui. Les Noirs, avec la foi des néophytes, se dévouent « à une religion qui avait chez eux supprimé l’esclavage » (I, 29). Des noms illustrés par l’histoire pour faits de résistance à la violence coloniale lui ont fait allégeance : les fils du Mahdi du Soudan (mort en 1885), de Samory, de Béhanzin du Dahomey, qui a renoncé aux sacrifices des Grandes Coutumes pour embrasser l’islam. Tous sont mus par une active propagande partie du Tchad, des confins entre Sahel et Sahara, et qui rayonne sur l’Afrique du Nord, zone qui, dès lors, fait figure de foyer de ce qu’on appellera plus tard le djihadistan.
Pour « mettre en feu la moitié du monde habité », le Sultan dispose de 13 millions de combattants (I, 20). La Reconquista africaine, objet du premier volume, s’appuie sur :
- une armée de 800.000 Marocains et d’Algériens qui marcheront sur Alger ;
- l’armée de Maurétanie, grosse de 200.000 combattants ;
- un corps de 60.000 Touareg ;
- 300.000 guerriers venus du Sénégal et du Haut Niger.
Soit 7 armées totalisant 1.800.000 hommes qui doivent se défaire des conquérants français, anglais, allemands, portugais en Afrique et se trouver aux portes de l’Europe, à Tunis, à Tanger, en Sicile pour lui porter le coup fatal.
Surfant sur les suggestions attachées au terme de « panislamisme » forgé par Gabriel Charmes (1850-1886) en 1883, Danrit entend à sa suite « suivre le mouvement islamique dans ses nouveaux progrès », montrer « les conséquences qu’il a produites chez les nations arabes », « tâche[r] d’en mieux faire connaître [...] les origines, les tendances et les périls », « dire quel en a été le contrecoup en Asie et en Afrique » à l’heure où l’instrumentalisation de l’islam est clairement perçu comme un danger lourd d’enjeux géopolitiques.
Bibliographie :
Martine Astier Loutfi, Littérature et colonialisme. L’expansion coloniale vue dans la littérature romanesque française, 1871-1914, Paris-La Haye, Mouton, 1971.
Marcel Barrière, La dernière épopée. Le Monde noir. Roman sur l’avenir des sociétés humaines, Paris, Lemerre, 1909.
Gabriel Charmes, L’Avenir de la Turquie : le panislamisme, Paris, Calmann Lévy, 1883.
Capitaine Danrit, L’Invasion noire (2 vol.). Quatre parties : 1 : Mobilisation africaine ; 2 : Concentration et pèlerinage à La Mecque ; 3 : À travers l’Europe ; 4 : Autour de Paris, Paris, Ernest Flammarion, s. d. [1894].
Capitaine Danrit, L’Invasion noire (3 vol.). Trois parties : 1 : La Mobilisation africaine ; 2 : Le grand pèlerinage à La Mecque ; 3 : Fin de l’islam devant Paris, Paris, Flammarion, 1913.
Les citations données dans ce parcours vont à cette édition.
Daniel David, Le Colonel Driant. De l’armée à la littérature, le Jules Verne militaire, Thionville, Éditions Gérard Klopp, 2006.
Daniel David, « Émile Driant, armée, politique et littérature », Le Rocambole, n° 74 : Les guerres du capitaine Danrit, printemps 2016.
Maurice Delafosse, « Introduction » à Paul Salkin, Le Problème de l’évolution noire. L’Afrique centrale dans cent ans, Paris, Payot, 1926.
Laure Lévêque, « Guerre de religions, guerre de races, guerre de civilisations ? L’État islamique vu par L’Invasion noire de Danrit », in L. Lévêque, Ph. Bonfils, Y. Kocoglu, Th. Santolini, D. van Hoorebeke (éds.), Vulnérabilités, échanges et tensions dans l’espace euroméditerranéen. L’Amer Méditerranée, Paris, L’Harmattan, 2017, pp. 23-48.
Laure Lévêque, « Le ”continent noir” à l’encre des rêves européens : le roman 1900 français entre “blancs de la carte” et sombres non-dits », in L. Lévêque et A. Makan (dir.), Imaginaires, langages, visions du monde, Babel « Transverses », Effigi, 2020, pp. 171-185.
Jean-Yves Le Naour, Djihad 1914-1918. La France face au panislamisme, Paris, Perrin, 2017.
Marc-Antoine Pérouse de Montclos, L’Afrique, nouvelle frontière du djihad, Paris, La Découverte, 2018.
Gérard Prunier, « Le mouvement des Ansars au Soudan depuis la fin de l’État mahdiste (1898-1987) », in Ousmane Kane, Jean-Louis Triaud (dir.), Islam et islamismes au sud du Sahara, Paris, Iremam – Kathala – MSH Paris, 1998.
Jean-Marie Seillan, « La (para)littérature (pré)coloniale à la fin du XIXe siècle », Romantisme, n° 139, 2008/1, pp. 33-45.
Jean-Marie Seillan, « Une épopée djihadiste : L’Invasion noire, du capitaine Danrit », Le Recueil Ouvert, http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/298-une-epopee-djihadiste-l-invasion-noire-du-capitaine-danrit
La croisade anti-impérialiste décidée, une étape est prévue à La Mecque afin de galvaniser les énergies et d’offrir à la coalition et à la campagne à venir une onction religieuse dans ce haut lieu de l’islam qui assure la fortune des armes.
Ce sera l’objet de la deuxième partie, « Concentration et pèlerinage à La Mecque ».
Si ces pratiques de dévotion sont jugées indispensables par les meneurs de la guerre sainte, le sultan Abd-ul-M’hamed et son fils Omar, pour porter à son comble le zèle des fidèles, leur propre rapport à la foi semble des plus lâches. De pur façade, ils en usent pour instrumentaliser le fanatisme des masses et les diriger au titre de force de frappe comme l’expose crûment Omar :
« le fanatisme religieux est de ceux qu’on provoque, qu’on dirige même en leur donnant un but bien déterminé comme le nôtre, mais qu’on n’arrête plus. Nous avons mis en branle une machine extraordinaire, et la voilà partie ; elle nous mettrait en miettes si nous voulions l’arrêter. C’est, d’ailleurs, ce qui fait sa puissance et amènera son triomphe » (II, 259).
Le Sultan lui-même le sait bien, qui prend la précaution de s’assurer que personne n’écoute, lorsqu’il précise à Omar que « [l]e levier du fanatisme religieux est le plus puissant de tous : quel autre eût pu ébranler de pareilles masses ? » (II, 288). Et, pour ne rien laisser au hasard, Abd-ul-M’hamed ne craint pas de fomenter un miracle « adroitement machiné » (II, 300), autrement dit une « supercherie » (II, 313, 315), qui va lui rallier tous les cœurs.
Pour faire bonne mesure, de miracles, il y en aura même deux :
– à La Mecque, il ne craint pas d’obturer la canalisation de la source sacrée du zem-zem qui – présage funeste – se tarit, avant de rendre à la fontaine son bouillonnement (un ouvrier hindou de confession bouddhiste à qui, souterrainement, sont confiés les travaux, paiera de sa vie la nécessaire conservation du secret des opérations) (Fig.5) ;
– à Médine, des filins d’acier habilement dissimulés assurent la lévitation du tombeau du prophète qui s’élève comme le Sultan profère : « Mohammed, lève-toi !... Mohammed, lève-toi !... » (II, 315), désignant Abd-ul-M’hamed pour son successeur (Fig.6).
Le résultat de ces machineries de théâtre a été bien calculé car voilà qu’un un cri s’élève, « En avant, renouvelé des croisades » (II, 316).
Opium du peuple diront certains, la religion est pour Abd-ul-M’hamed un levier. Mais lui-même échappe à l’enfumage, qui « avec beaucoup de musulmans instruits, [...] ne croyait pas aux récits du Rauzat-us-Safa (jardin de pureté) » (II, 290) : sa vraie foi va à la justice, « et il lui paraissait impossible qu’un dieu juste eût créé une race privilégiée et une race sacrifiée. Il allait donc essayer de changer tout cela » (II, 290).
« Celui qui eût pu lire au fond de cette âme y eût trouvé surtout la haine de l’injustice et de l’oppression. Le souvenir de ce qu’il avait souffert lui-même et de ce qu’il avait vu autour de lui chez les peuples asservis du continent africain, avait plus fait pour l’œuvre qu’il tentait que toutes les convictions religieuses. Le monde, tel qu’il le voyait, lieu de jouissance pour quelques-uns, séjour de misère et de souffrance pour l’immense majorité des autres, lui semblait mal fait. [...] Et ce qu’il ne pouvait admettre, c’était ce dédain, cette main-mise d’une race sur une autre. Ce qui lui paraissait odieux et souverainement injuste, c’était cette exploitation des Noirs par les Blancs depuis le commencement du monde » (II, 289-290).
Si l’étendard vert du Prophète ne cache pas exactement le drapeau rouge, les causes premières se sont déplacées et les professions de foi religieuses couvrent des professions de foi politiques et, si guerre des races il y a, les races en question sont davantage fonction de couleur politique que d’épiderme. C’est l’appartenance à la condition de dominés qui permet de subsumer une multitude de peuples sous les espèces d’« une race entière qui se lève » (II, 223). De fait, on est bien loin ici des nauséeuses théories racialistes et c’est sur la base de la résistance à l’exploitation des Noirs par les Blancs, expression du colonialisme, que des peuples très divers, d’Inde, de Chine ou du Caucase – qui n’ont rien de noir ni d’arabe et dont l’islam n’est pas la religion dominante – vont rentrer dans la grande coalition djihadiste et participer de ces « efforts de toute une race » (I, 156), portant dépassement des clivages de type racial et religieux.
Bibliographie :
Gabriel Charmes, L’Avenir de la Turquie : le panislamisme, Paris, Calmann Lévy, 1883.
Jacques Frémeaux, La France et l’islam depuis 1789, Paris, PUF, 1991.
Laure Lévêque, « Guerre de religions, guerre de races, guerre de civilisations ? L’État islamique vu par L’Invasion noire de Danrit », in L. Lévêque, Ph. Bonfils, Y. Kocoglu, Th. Santolini, D. van Hoorebeke (éds.), Vulnérabilités, échanges et tensions dans l’espace euroméditerranéen. L’Amer Méditerranée, Paris, L’Harmattan, 2017, pp. 23-48.
Jean-Yves Le Naour, Djihad 1914-1918. La France face au panislamisme, Paris, Perrin, 2017.
En agitant le spectre du panislamisme, Danrit épouse les craintes d’un Gabriel Charmes, explorateur et journaliste spécialisé dans la politique étrangère, singulièrement celle touchant à la Méditerranée et au Proche-Orient, qui, dans son essai sur L’Avenir de la Turquie (1883), a explicitement corrélé le destin ottoman à la question religieuse. Très documentée, l’enquête fournit à Danrit nombre de points d’ancrage que son intrigue reconfigure avec les armes de la fiction, dans la logique alarmiste de Charmes, qui note dans son avant-propos que « [d]epuis le moment où [son essai] a été écrit, la politique islamique du sultan s’est développée », avec « des résultats tels que les dangers en sont devenus visibles à tous les yeux ».
Et si l’on sait que les sultans ottomans ne tenaient guère à honneur le titre de « calife » fruit de leurs conquêtes sur l’Orient arabe, « [m]ême en voie de délitement accéléré, incapable de rivaliser avec les armées européennes, le Grand Turc conservait une dernière carte entre ses mains, une sorte d’arme de destruction massive » avec ce titre de commandeur des croyants auquel s’attache un formidable pouvoir de mobilisation, spirituel comme temporel, dont Charmes entend alerter sur la dangerosité qu’il fait peser sur la France, « grande puissance musulmane et la plus grande puissance arabe du monde, après la Turquie :
« Jadis la Turquie n’était pour [la France] qu’un élément de l’équilibre général de l’Europe ; désormais elle est de plus un élément de sa puissance en Afrique. Toutes les révolutions ou plutôt toutes les évolutions religieuses qui agitent le monde musulman ont dans nos possessions africaines un contre-coup direct, profond. Nous ne saurions rester indifférents à la prétention qu’a le sultan d’être calife ; car, si cette prétention est justifiée, les cinq millions de musulmans auxquels nous commandons en Tunisie et en Algérie sont, en dehors et au dessus de nous, sous l’action d’une autorité spirituelle et politique qui s’impose à leurs consciences aussi bien qu’à leurs volontés. Pense-t-on que ce soit là un péril sans gravité ? pense-t-on qu’il soit permis de le dédaigner sans imprudence ? ».
L’Invasion noire permet de prendre la mesure de ce danger et des enjeux géopolitiques qu’il soulève, dont Sylvie Brunel vient récemment de rappeler l’actualité : « Au cœur du continent se dessine une vaste zone d’effondrement, minée par la montée de l’islamisme et des rébellions. Aux portes mêmes de l’Europe, le plus grand désert du monde, le Sahara, est devenu l’épicentre d’une guerre sainte contre l’Occident. Le “Djihadistan” se propage. Le risque est de voir s’unir demain un immense front islamiste, reliant l’Afghanistan à la Mauritanie en jetant ses tentacules vers le sud, au Nigéria, en Centrafrique, au Mali, au Kenya ».
Aussi, avec ce titre redevenu un atout permettant d’imaginer raffermir un pouvoir temporel abîmé par la toute-puissance d’un pouvoir spirituel qui réside dans le fait que le sultan est aussi commandeur des croyants, l’opération idéologique engagée par Abd-ul-M’hamed ne présente que des avantages : à l’intérieur, au nom d’une solidarité supérieure, elle sape l’expression des revendications nationalistes ; à l’extérieur, elle confère au sultan le statut d’un leader que L’Invasion noire exploite pleinement.
Le coup d’envoi de la campagne dirigée contre l’Europe sera donné dans la ville du Sultan, Constantinople, qui essuie un bombardement en règle de pestiférés et de cholériques (Fig.7), armes non conventionnelles qui permettront aux forces de l’invasion noire de reprendre la place.
Aussi informé que soit Danrit, son état des forces en présence fait curieusement l’impasse sur des collusions contre-nature que dénonce Maurras à la même époque, très sévère sur la politique ottomane de l’empereur allemand Guillaume II. Car si son double de fiction n’hésite pas à jouer les sentinelles de l’Europe, celui que, depuis son pèlerinage de 1898 au tombeau de Saladin et en terre sainte, on n’appelle plus qu’Hâj Wilhelm dans le monde musulman (Fig.8) avait joué un rôle plus complexe en prêtant la main au jeu trouble du maître espion orientaliste Max von Oppenheim (1860-1946) (Fig.9) qui travaille à déclencher une insurrection islamique mondiale dont l’Allemagne tirerait avantage. « Véritable prophète du djihad », ce nébuleux personnage est le « pilier de l’islampolitik » du Kaiser, poursuivie avec constance durant dix bonnes années, jusqu’à ce que la révolution des Jeunes-Turcs de 1908, forte d’une conception laïque de l’État, ne mette un frein à cette politique, gravement compromise l’année suivante par la déposition d’Abdülhamid II. La diplomatie allemande n’avait pourtant pas travaillé pour rien, l’un des dirigeants Jeunes-Turcs les plus en vue, Enver Pacha (1881-1922), germanophile déclaré, mettant tout en œuvre pour resserrer les liens entre Berlin et Constantinople, plus étroits que jamais dès 1912-1913.
Au moins s’agissant de la version révisée de 1913, on peut s’étonner qu’il ne soit pas fait allusion à cette politique allemande qui cible les intérêts britanniques et français dès lors qu’elle a sensiblement influé sur le rapport de forces à l’œuvre dans les trois continents – Europe, Afrique et Asie – concernés par l’action. Comment imaginer, en effet, que Driant, parfaitement introduit dans les cercles bien renseignés, tant civils que militaires, ait pu se tromper sur le rôle de la politique allemande dans l’incitation au djihad et dans la constitution de l’oumma sur des fondements anti-occidentaux ? Faut-il attribuer à l’anglophobie viscérale de Driant le mobile qui pousse Danrit à détacher le « péril vert » de ses racines germaniques et à faire bloc avec le Kaiser alors même qu’il ne se fait guère illusion et que, si devait survenir « une nouvelle guerre franco-allemande » (III, 246), il juge probable le déclenchement du plan Schlieffen – plan d’invasion de la France qui requiert que les troupes allemandes puissent traverser les territoires du Luxembourg, de la Belgique et des Pays-Bas, qu’un droit de passage leur soit octroyé ou qu’elles passent délibérément en force –, conçu en 1905 et effectivement appliqué en 1914 sans considération pour la souveraineté belge ? C’est l’hypothèse la plus vraisemblable. Néanmoins, nombre d’épisodes de L’Invasion noire ne se comprennent qu’eu égard à cette collusion entre Berlin et Constantinople. Ainsi, dans le roman, les craintes de l’administration coloniale française d’Afrique du Nord doivent-elles beaucoup à celles qu’exprimaient, à l’aube du premier conflit mondial, des agents inquiets de ce que l’autorité spirituelle du calife puisse s’imposer à des populations musulmanes sur lesquelles la France avait étendu son empire, tant en Algérie qu’au Maroc, où la pacification traîne, qu’en Tunisie.
Dès lors, l’attitude du calife était effectivement décisive. Une éventuelle entrée en guerre de l’Empire ottoman dans un conflit mondialisé allait-elle se révéler déterminante ? C’est ce qu’espèrent les Allemands conduits par un « Hadj Guillaume » lancé dans une opération-séduction au Proche-Orient depuis le fameux toast de Damas porté en novembre 1898 – « Puisse Sa Majesté le Sultan, ainsi que les 300 millions de mahométans qui vénèrent en lui leur Calife, être assurés que l’empereur allemand est leur ami pour toujours » –, sans toutefois pouvoir bien sûr proclamer eux-mêmes la guerre sainte. « Le djihad est un devoir pour tous les musulmans », rabâche chaque jour une presse ottomane qui prend ses ordres à Berlin. Devoir rempli le 11 novembre 1914, où les autorités spirituelles émettent cinq fatwas qui commandent aux musulmans parties prenantes du conflit de mener le bon combat (Fig.10).
L’épopée de Danrit n’est pas en reste et son intrigue est étroitement arrimée à l’effet domino que craignent les grands empires de l’Entente si un commandement du calife venait à déstabiliser Mésopotamie, Arabie, vallée du Nil et Soudan, soulevant l’Afrique du Nord, l’Asie centrale et l’Inde. Danrit qui prend pleinement la mesure des visées de la Porte, Enver Pacha ne faisant pas mystère de ses prétentions sur le Caucase, identifié comme le berceau des Turcs, quand bien même, loin de la leçon du roman, ses choix stratégiques peu judicieux conduisent à un nouvel échec face aux Russes, que les Ottomans n’ont pas défaits depuis 1711. Sans pour autant que ce sévère revers ne ramène à une plus juste mesure les ambitions d’Enver Pacha, qui rêve de ressaisir l’Égypte, perdue face aux Britanniques en 1882, et, de là de s’appuyer sur la sécession anti-italienne en Tripolitaine pour gagner à sa cause l’ensemble du Maghreb.
Le roman se saisit très finement de ces données quand bien même, dans la réalité, les éléments musulmans du Caucase et d’Égypte n’ont pas tardé à prendre la mesure du rapport de forces, ce qui ne les a pas engagés à embrasser le parti ottoman. De fait, hormis dans les oasis de Tripolitaine et de Cyrénaïque, l’appel au djihad semble être demeuré lettre morte, et, même là, c’est moins sur des bases religieuses qu’anticolonialistes que la résistance s’est structurée, ce qui ressort sans ambiguïté du « djihad de papier » du capitaine Danrit qui, au mépris de l’ordre colonial, conduit ces contestataires aux portes de Rome.
Bibliographie :
Sophie Brunel, L’Afrique est-elle bien partie ?, Paris, Sciences Humaines Éditions, 2014.
Gabriel Charmes, L’Avenir de la Turquie : le panislamisme, Paris, Calmann Lévy, 1883.
Hussein I. El-Mudarris & Olivier Salmon, Voyage en Orient de Guillaume II en 1898, Alep, Dar Al-Mudarris & Ray Publishing and Science, 2010.
Jean-Yves Le Naour, Djihad 1914-1918. La France face au panislamisme, Paris, Perrin, 2017.
Mariano Martín Rodríguez, « Le Réveil de l’Afrique, de Rubió, y las fantasías literarias sobre el “peligro verde” en Francia y España (1871-1939) », Babel, Littératures plurielles, n° 38, 2018, pp. 145-172.
Charles Maurras, Kiel et Tanger, 1895-1905 : La République française devant l’Europe, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1910.
Alexander Will, « Le panislamisme, arme de la guerre asymétrique de l’Allemagne », Orient XXI, 2016, https://orientxxi.info/l-orient-dans-la-guerre-1914-1918/le-panislamisme-arme-de-la-guerre-asymetrique-de-l-allemagne,1422
Validant la lecture livrée par Michelet dans l’Introduction à l’histoire universelle (1831) – « Le monde de la civilisation est gardé à ses deux portes, vers l’Afrique et l’Asie, par les Espagnols et les Slaves, voués à une éternelle croisade, chrétiens barbares opposés à la barbarie musulmane » –, c’est par ces deux entrées que la coalition islamiste a prévu de frapper l’autoproclamée civilisation, en faisant sauter le verrou que représentent les deux rochers anglais de Gibraltar (Fig.11) – place imprenable dont on prévoit de s’emparer au moyen d’un tunnel sous-marin (Fig.12, Fig.13) – et de Périm (Fig.14) où l’Angleterre, consciente que le contrôle du canal de Suez risque de ne pas suffire et qu’il convient d’affermir ses positions au Yémen, a concentré ses forces.
Par où Danrit manifeste aussi le leadership exercé par le Proche-Orient arabe sur les populations du Sahel dans l’inspiration d’un sentiment anti-européen. Ottoman, le sultan l’a compris, « [c]e n’était pas avec les Turcs qu’il était possible de réveiller le fanatisme religieux dans toutes les couches de l’islamisme. C’était avec les Arabes » (I, 44).
Bibliographie :
Aziza Bennani, La Liaison fixe du détroit de Gibraltar : du rêve à la réalité, Avignon, Wallâda, 1989.
Général Henry-Jean Fournier, « Driant, entre science-fiction et anticipation », Cahiers de la pensée mili-Terre, n° 45, 2017.
Jules Michelet, Introduction à l’histoire universelle, Paris, Hachette, 1831.
Colonel Alain J. Roux, « “Guerre future” et “littérature populaire” : autour de Driant et Robida », Revue de l’Institut d’histoire militaire, n° 85, 2002.
Édouard Sill, « Le tunnel de Gibraltar, un rêve herculéen franco-espagnol », Rétronews, 2022, https://www.retronews.fr/conflits-et-relations-internationales/long-format/2022/01/03/le-tunnel-de-gibraltar
« “[L]’homme malade” se redresse[e] » (III, 131) : rompus à « la vraie guerre », bien organisés, les Turcs se battent vaillamment, qui arrachent Andrinople aux Bulgares et aux Russes (III, 132). Les Noirs n’ont encore perdu qu’un cinquième de leur effectif et, à Constantinople, ils sont deux millions cinq cent mille, répartis en six armées. Le cheikh Senoussi, à la tête de 800.000 « fanatiques tripolitains et soudanais », forme l’avant-garde. De là, ils passent en Thrace, et ce sont les Wahabites de l’émir Saoud qui donnent l’assaut à Philippopoli, dont les défenseurs seront tous décapités, ce que relaie le télégraphe, mettant en émoi, plus à l’Ouest, cabinets ministériels et populations.
Craignant le savoir-faire militaire des grands États du nord, c’est aux Turcs que le Sultan confie le soin de couvrir ses sept armées, dont les approvisionnements viennent d’Égypte et de Perse, dans le sensible passage des Balkans. Quinze jours plus tard, l’armée turque a pris position sur les rives du Danube. Le plan d’invasion mène de Constantinople à Paris en passant par Vienne, déjà assiégée par Soliman en 1529 (Fig.15), et par Mehmet IV, en 1683 (Fig.16). Menaçant d’abord Sofia et Belgrade, un « coin de trois millions d’hommes » s’enfonce en Europe (III, 136).
L’avancée technologique de l’Europe n’en peut mais, car la science ne peut rien pour une Europe qui tremble et qui a confié son sort aux seules capacités de résistance de la Russie. Enfoncée dans un incurable isolationnisme, l’Europe n’a pas été capable de s’unir et la suite des opérations démontre « la faute commise par les grandes puissances de rester cantonnées chez elles pour y attendre le choc » (III, 148). Les réunions de crise n’ont pu accoucher que de ce mot d’ordre : que chaque peuple se défende chez lui.
C’est donc à la Russie que la logique géographique laisse le soin de repousser l’envahisseur. Mais, non contents d’être de piètres alliés, les États européens sont encore de mauvais stratèges, qui ne voient pas que la Russie est asiatique autant qu’européenne et que les fidèles de l’islam y sont nombreux. Mobilisant 800.000 hommes renforcés par des Bulgares et des Roumains, les Russes parviennent à contrer la progression des Mongols et des Chinois (Fig.17), mais ces résistances n’empêchent pas l’invasion de déboucher de son couloir thrace et de prendre Sofia. C’est le cheikh Senoussi qui s’en charge, usant d’une tactique de terre brûlée qui le met en puissance de ne pas craindre la supériorité du feu ennemi quand il lui suffit de brûler les villages et de massacrer femmes et enfants.
En Serbie, l’orgueil national rend les choses plus difficiles s’agissant d’un peuple qui a « toujours conservé l’espoir de former le noyau d’une grande confédération de la Slavie méridionale » (III, 145) et qui entend faire la démonstration de ce que pourrait ce grand dessein. Mettant femmes et enfants à l’abri de l’autre côté du Danube, Belgrade s’organise « pour une défense à outrance » (III, 146). C’est en Serbie que se livre « la première bataille sérieuse de la chrétienté contre l’islamisme » (III, 146) dont la vaillante armée serbe pense sortir vainqueur. Mais, malgré les coups d’éclat des Serbes et des Russes, le surnombre des envahisseurs arrache une retentissante victoire.
Après 65 jours d’opérations, une marche de 840 kilomètres et 6 combats livrés, un premier objectif important, Belgrade, tombe, sécurisant la route vers Vienne et livrant un précieux matériel d’artillerie qui va permettre aux forces d’Abd-ul M’hamed d’opérer à l’européenne.
Bibliographie :
Daniel David, « Les guerres du capitaine Danrit », Le Rocambole, n° 74, printemps 2016.
Jacques Frémeaux, La Question d’Orient, Paris, Fayard, 2014.
Colonel Alain J. Roux, « “Guerre future” et “littérature populaire” : autour de Driant et Robida », Revue de l’Institut d’histoire militaire, n° 85, 2002.
De même que l’opportunité de secouer le joug de l’exploitation coloniale rallie sans coup férir un Somali du Nord qui « s’étai[t] opposé avec acharnement à l’invasion italienne » ou les fellah égyptiens, « réduits par les exactions [des Anglais] à la dernière des misères sur le sol qu’ils fécondaient » (II, 274) ; de même, hors l’Afrique, c’est la résistance au colonialisme qui, plus que le prosélytisme, fédère l’action des coalisés.
L’Inde en présente un cas emblématique, avec ses millions de musulmans qu’une politique habile a unis aux Hindous contre les empiètements britanniques.
L’Inde n’est pas pour rien dans le roman une pièce stratégique de l’offensive de la coalisation islamique, les Allemands ayant effectivement compté sur le soulèvement des 80 à 100 millions de musulmans indiens, dont ils encouragent la sécession en jouant concurremment de la corde religieuse et de la corde nationaliste. Ils entendent notamment pousser l’Afghanistan, farouchement indépendant et qui a résisté aux entreprises britanniques (Fig.18), à suivre le djihad et à se déverser sur l’Inde britannique, déclenchant une insurrection générale.
Aussi quand l’Angleterre, bousculée, appelle les troupes coloniales à la rescousse, pensant pouvoir compter sur les cipayes (Fig.19), « les Indiens, jusqu’alors ennemis des musulmans, s’alli[e]nt avec eux pour la première fois contre l’oppresseur commun (Fig.20), sentant que leur division avait fait jusque là sa principale force » (II, 97) et les musulmans s’entendent avec les rajahs pour conclure « une entente concrète basée sur le respect des deux religions et l’alliance contre l’Anglais » (II, 97) qui prévoit une claire division des tâches : les Hindous doivent contenir l’armée anglaise et la bouter hors d’un « pays où elle avait pu jusque-là opprimer 200 millions d’hommes » (II, 97), les musulmans se chargeant de prendre position sur l’Indus et, de de là, par le Belouchistan et la Perse, de pénétrer en Asie mineure. Alliance toute conjoncturelle puisque, une fois le soulèvement lancé : l’Inde aux Indiens et l’Europe aux musulmans.
Bibliographie :
Mathieu Gotteland, « L’impact du djihad de 1914 dans le monde », 2e Rencontre de la Halqa, Aix-en-Provence, 5 juin 2014.
Jacques Frémeaux, De quoi fut fait l’empire – Les guerres coloniales au XIXe siècle, Paris, CNRS Édition, 2021.
Laure Lévêque, « Guerre de religions, guerre de races, guerre de civilisations ? L’État islamique vu par L’Invasion noire de Danrit », in L. Lévêque, Ph. Bonfils, Y. Kocoglu, Th. Santolini, D. van Hoorebeke (éds.), Vulnérabilités, échanges et tensions dans l’espace euroméditerranéen. L’Amer Méditerranée, Paris, L’Harmattan, 2017, pp. 23-48.
Oissila Saaïdia, « Islam et ordre colonial dans les empires britannique et français : entre collaboration et contestation », pp. 75-105.
Deux mois après la chute de Belgrade et 500 kilomètres parcourus sans combats marquants plus tard, l’Autriche a beau opposer 700.000 hommes à l’armée du Sultan pour lui interdire de pénétrer plus avant, ses armées sont taillées en pièces et, après la prise de Budapest, c’est désormais aux Allemands de tenter d’arrêter l’invasion (Fig.21). L’empereur Frédéric IV se met à la tête de 500.000 hommes. Il entend changer de tactique et attaquer l’adversaire au lieu de se contenter de défendre, mais la guerre bactériologique reprend avec le retour du printemps et peste et choléra déciment son armée. La démoralisation guette ses troupes à qui manque le fanatisme aussi l’empereur est-il contraint à la retraite pour éviter des désertions en masse (Fig.22). Danrit ne résiste pas devant une pique : « [t]el fut le rôle de l’Allemagne dans ce terrible duel. Il avait été court » (III, 171).
Bibliographie :
Daniel David, « Les guerres du capitaine Danrit », Le Rocambole, n° 74, printemps 2016.
Colonel Alain J. Roux, « “Guerre future” et “littérature populaire” : autour de Driant et Robida », Revue de l’Institut d’histoire militaire, n° 85, 2002.
Pour planter le décor, Danrit met l’accent sur les ferments de conflits religieux, suivant en cela un Ludovic de Polignac qui se voulait fin connaisseur de l’islam, et dont le livre France et islamisme mettait en garde, en 1893 :
« Nous n’avons pas, à l’heure présente, de politique musulmane-africaine. Il devient urgent d’en fonder une [...]. Depuis le Maroc jusqu’à la Mer Rouge, depuis le rivage Sud de la Méditerranée jusqu’aux Grands Lacs et au Congo, tout, en Afrique, est sous l’influence musulmane. Devant cette puissante unité, nous ne pouvons agir par politique locale, il nous faut unité de plan et de conduite ».
Or, c’est précisément ce qui va constamment manquer, à la France et à l’Europe. Alors que le plan du sultan est appuyé sur de très solides compétentes stratégiques et tactiques, qui prévoit de désolidariser les puissances européennes en s’en prenant d’abord aux seules possessions françaises, attaquées à Alger et à Tunis. C’est aussi l’apport de Danrit que de donner à voir le risque de division interne à l’Europe. Le sultan sait ainsi habilement, en fomentant des soulèvements contre les détachements français, « laisser à l’Europe, le plus longtemps possible, l’illusion que la France seule était menacée dans ses possessions » (I, 119), ce qui ne peut que réjouir les puissances rivales. Au premier chef, bien sûr, les Anglais, qui ne jouent que leur propre jeu et soutiennent les activistes maures de Melilla contre les Espagnols en leur fournissant des armes.
La résistance d’Abd-el-Kader (Fig.23) à la conquête française n’a pas été perdue : « l’armée française d’Algérie, 25.000 hommes commandés par » un prémonitoire « général Quarteron, a été massacrée... jusqu’au dernier homme » (II, 80) et c’est son règlement militaire de 1839 qui prévaut au sein des 30 armées (I, 153) qui vont déferler sur l’Europe, après un pèlerinage purificatoire à La Mecque dont la fonction est d’insister sur la dimension religieuse d’une entreprise qui ne doit donc pas tout aux armes.
Sans compter que l’émir a vraisemblablement inspiré le personnage d’Omar, le fils d’Abd-ul-M’hamed, qui seconde son père dans son grand dessein, et qui présente la spécificité d’être un produit d’assimilation puisqu’il a étudié dans les écoles européennes où il a rencontré le héros français de l’histoire, Léon de Melval, qui a été son condisciple à Saint-Cyr et à qui l’unissent des liens profonds d’honneur et d’amitié qui font l’intérêt d’une intrigue plus nuancée qu’il n’y paraît (Fig.24 et Fig.25) en confrontant chacun des deux camps à un jeu dialectique d’où l’autre ne peut être totalement expulsé puisque, ainsi que le rappelle le colonel Ludovic de Polignac (1828-1904), explorateur et soldat, grand connaisseur du Sahara :
« Le “connais-toi toi-même” de Socrate s’applique mieux encore aux Nations qu’aux individus. Pour se connaître, il ne suffit pas de se regarder dans la glace, il faut regarder par la fenêtre et voir les autres ».
À l’articulation du même et de l’autre, Omar doit sans doute beaucoup à un ancien élève que le capitaine-instructeur Driant a formé à Saint-Cyr : Khaled El-Hassani Ben El-Hachemi (1875-1936), petit-fils d’Abd-el-Kader (Fig.26) dont le père « était le chef du parti réputé pro-français de la famille ». Venu de Syrie en France à 17 ans, il est admis à Saint-Cyr en 1893. Mais s’il y avait eu des plans pour lui inspirer l’amour du drapeau tricolore, ils furent déjoués puisque, après avoir servi la France comme capitaine indigène, c’est en représentant du nationalisme algérien qu’il mourra en 1936. Driant le tenait en haute estime, qui en parlait à la Chambre comme d’« un homme d’une très haute valeur, parlant admirablement le français, connaissant très bien les besoins des indigènes auxquels on ne doit pas s’étonner qu’il se dévoue – mais aussi les obligations qu’il a vis-à-vis de la France sa patrie d’adoption ». Cheval de Troie de la fiction, qui en fait l’égal d’Achille (III, 142), il a trouvé son Patrocle en de Melval, preuve que le choc des civilisations n’est pas inéluctable, ce que le système des personnages a charge de dire, sous la brutale et apparemment univoque ligne de l’intrigue.
Alors que la fortune des armes sourit aux coalisés, soucieux d’épargner la vie de son ancien condisciple que vient de piéger le déclenchement du soulèvement, Omar imagine le retenir au Sahara où s’ouvrirait pour lui la vie de colon. Sans trop convaincre un de Melval qui ne retient de la proposition que ce qu’il y voit de carnavalesque : « [c]ette idée de coloniser un morceau de Sahara pendant que tu chambarderais mes propriétés en Bourgogne n’a rien d’attrayant » (I, 111). Pourtant, que l’on retranche le « pendant que » qui assure la réciprocité et la chose redevient attrayante, conforme au modèle colonial, qui s’entend à sens unique. « Songerions-nous à attaquer l’Europe si, de son côté, elle ne nous avait pas comprimés et asservis ; si, chaque jour, par ses empiètements, elle ne nous avait poussés à bout ? » (II, 127), raisonne Omar. Retrouvant les termes de l’envoi à Jules Verne, à qui Danrit dédie « ce nouveau livre, L’Invasion noire, c’est-à-dire l’invasion future de l’Europe par les masses musulmanes d’Afrique fanatisées par un sultan de génie », soulignant qu’il « repose sur une donnée bien problématique, puisque, à l’époque où nous vivons, c’est l’inverse qui se produit, les puissances européennes découpant le Continent noir en tranches proportionnées à leur appétit et s’en partageant comme un vil bétail les populations primitives » (IN, I, 3), Omar tonne contre le résultat de la Conférence de Berlin (qui se tint en 1884-1885, et non, comme la déplace Danrit, en 1889), soulignant l’iniquité de l’échange : « [c]omment, il aurait suffi qu’en 1889 quelques diplomates se réunissent autour d’un tapis vert à Berlin pour se partager les peuplades africaines comme un vil bétail ! et ce bétail n’aurait qu’à ratifier le partage ! » (II, 127-128) (Fig.27). « De Melval ne trouva rien à répondre » (II, 128). Et ce silence éloquent autorise la parole des dominés :
« notre tour est venu, les puissances européennes, la France comme les autres, n’ont que trop joué de cette guitare qui s’appelle l’expansion coloniale. Nous en sommes saturés, et il est temps que cette tragi-comédie, jouée par des peuples de race soi-disant supérieure, prenne fin » (II, 140).
Depuis l’Antiquité, la représentation du monde à l’envers sert une claire fonction heuristique dont joue Omar auprès de de Melval : « [a]ssez longtemps l’Afrique a été votre proie à tous ; vous allez devenir la sienne ; la face du monde va changer » (I, 156). Voici donc venu le temps des saturnales. C’est ainsi que, dans la régénération programmée du Maroc, il est prévu, au retour de l’expédition, d’implanter « 200.000 esclaves chrétiens » pour en assurer la mise en valeur (I, 124). Mais c’est partout que, selon une loi du talion éprouvée, de nouveaux colons « se répandraient dans les régions qui leur seraient données en partage, et » qu’« avec les anciens possesseurs du sol, comme esclaves, elles créeraient une civilisation nouvelle » (III, 270) qui ferait justice de celle que « l’Europe voudrait [...] imposer à coups de canon », « celle que Stanley, ce cruel voyageur, a promenée sur le Congo, en mitraillant des milliers de noirs ; celle que les Anglais inaugurent dans tous les pays dont ils s’emparent, divisant les peuples de même race et jetant les tribus les unes sur les autres ; celle des Allemands écrasant à coups de canon les populations inoffensives des Grands Lacs ; celle des Français, enfin, remplaçant les paisibles colons arabes d’Afrique par une population de faméliques et de juifs, rebut de leur métropole ». Et le Sultan de prononcer son arrêt : « [u]ne pareille civilisation doit disparaître » (I, 125-126).
La régénération de la civilisation passe par un bain de sang purificateur dont l’Afrique sera l’épicentre au titre de « terre vierge à peine effleurée par les peuples primitifs que les Européens croient de race inférieure » (I, 127), ce qui permet de comprendre le rôle génétique des forces noires, qu’affirme le titre alors que l’intrigue privilégie la question islamique. Mais ces saturnales n’ont rien de bacchanales, qui sont avant tout affaire de justice distributive, aussi, tout en avançant que pareille régénération ne saurait s’opérer sans secousse, le Sultan récuse-t-il l’épithète de « sanguinaire » pour revendiquer celle de « justicier » (I, 127).
Si bien qu’en dépit du fléau prêt à s’abattre sur l’Europe, la balance des points de vue est maintenue. Ce qui ne signifie pas qu’il y ait équilibre entre une « civilisation arabe » dont la valeur pour les arts, les sciences et les lettres est rappelée jusque dans les notes et une « civilisation européenne qui repose sur le matérialisme, l’athéisme et le mépris des lois de Dieu » (I, 125), qui porte tous les stigmates de la décadence.
Dans une conférence prononcée en 1911, Driant faisait aussi la preuve de sa réceptivité au point de vue de l’autre :
« Des musulmans disent [...], et non sans justesse : [...] “– Au nom de la civilisation, vous construisez des chemins de fer, vous voulez entreprendre chez nous de grands travaux, mais vous engraissez ainsi des actionnaires qui habitent Londres ou Berlin. Ce n’est pas pour améliorer les conditions de notre existence que vous civilisez. D’ailleurs, ces conditions, nous ne tenons pas à ce qu’elles changent ; nous sommes heureux sous la tente, avec nos troupeaux, ayant devant nous les espaces de la liberté Nous sommes sans besoins, et nous ne voulons pas de votre civilisation étriquée et accapareuse”. Et ils concluent logiquement : “– Restez chez vous !” Qui pourrait les en blâmer ! ».
Le choc des civilisations s’inscrit, dans L’Invasion noire, dans cette même logique anticapitaliste que diffuse le style indirect libre : « [l]a moralité était tombée si bas dans cette Europe exécrée que justice, conscience, patriotisme même, tout était à vendre » (I, 42).
Bibliographie :
Charles-Robert Ageron, « Enquête sur les origines du nationalisme algérien. L’émir Khaled, petit-fils d’Abd El-Kader, fut-il le premier nationaliste algérien ? », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n°2, 1966.
Daniel David, « Les guerres du capitaine Danrit », Le Rocambole, n° 74, printemps 2016.
Karis Muller, « Reconfigurer l’Eurafrique », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 77 : « Europe et Afrique au tournant des indépendances », 2005.
Laure Lévêque, « Guerre de religions, guerre de races, guerre de civilisations ? L’État islamique vu par L’Invasion noire de Danrit », in L. Lévêque, Ph. Bonfils, Y. Kocoglu, Th. Santolini, D. van Hoorebeke (éds.), Vulnérabilités, échanges et tensions dans l’espace euroméditerranéen. L’Amer Méditerranée, Paris, L’Harmattan, 2017, pp. 23-48.
Anthony Mangeon, L’Afrique au futur. Le renversement des mondes, Paris, Hermann, « Fictions pensantes », 2022
Colonel de Polignac, France et islamisme, Alger, Imprimerie L. Remordet & cie, 1893.
Colonel Alain J. Roux, « “Guerre future” et “littérature populaire” : autour de Driant et Robida », Revue de l’Institut d’histoire militaire, n° 85, 2002.
Jean-Marie Seillan, Aux sources du roman colonial. L’Afrique à la fin du XIXe siècle, Paris, Karthala, 2006.
Isabelle Surun, « 1884-1885. Conférence de Berlin », in Pierre Singaravélou, Sylvain Venayre (dir.), Histoire du monde au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2017.
Alors « [q]uel chef en Europe pouvait lutter contre un être pareillement organisé ? Quel général pouvait espérer insuffler à son armée l’énergie sauvage dont l’Islam entier était animé ; quel génie, surtout, pouvait réunir en un faisceau les puissances menacées comme il avait, lui, fondu en une seule masse tous les asservis d’Afrique et d’Asie ? » (III, 142-143).
Sous son impulsion, démonstration en est faite :
« ces noirs qu’on s’était habitué à regarder comme une race condamnée, asservie ; ces musulmans qu’on déclarait finis, rebelles à tout progrès, incapables du moindre effort ; ces masses qu’on ne craignait pas parce qu’elles étaient désunies, montraient par deux coups terribles, à quelques mois d’intervalle, en Algérie et sur la mer Rouge, qu’elles étaient de force à tenir tête à leurs oppresseurs de la veille » (II, 182).
Et ce non seulement dans les territoires soumis à la colonisation, mais en Europe même, dont les pays ont été balayés les uns après les autres.
Ni l’Italie ni la Suisse n’étant des adversaires sérieux, seule la France se dresse désormais sur la route des hordes islamistes, la péninsule ibérique étant, on s’en souvient, la proie d’autres armées. L’absence de l’Angleterre n’est guère surprenante dans la littérature française de l’époque, généralement violemment anglophobe : perfide, Albion est une nation essentiellement égoïste sur la solidarité de laquelle il ne faut pas compter dans ce grand choc (Fig.28).
Voilà donc les envahisseurs à 30 jours de marche de Paris (Fig.29).
En vue de la Meuse, une escouade de 60 aérostats se relaie pour les harceler et les canarder sans répit tandis que des explosifs jetés du haut des airs détruisent les ponts lancés sur le fleuve. Appliquant une tactique à la Koutouzov, le commandement militaire retire toutes ses troupes au-delà de la Meuse et laisse les armées ennemies pénétrer en France par les Ardennes et avancer de 120 kilomètres, suivant « le projet caressé par Guillaume II, dans le cas d’une nouvelle guerre franco-allemande, pour le cas très probable où il eût violé la neutralité de la Belgique » (III, 246). Observant la marche de l’ennemi, qui consiste à éviter toute place forte coûteuse en hommes, le plan arrêté consiste à l’obliger à concentrer ses troupes pour les anéantir en bloc après les avoir piégées dans un cul-de-sac, entre Compiègne et Soissons, où elles seront arrêtées par la Marne (Fig.30). Pour mieux s’assurer de leur marche, un appât leur sera alors proposé sous forme d’approvisionnements réquisitionnés dans le Boulonnais (Fig.31) et la mise en scène d’une retraite, au moment de passer la Somme, leur fera croire à leur bonne fortune dans une vallée de l’Aisne qui doit faire figure de terre promise.
346 ballons blindés et chargés de gaz létal à hauteur de 280.000 m3 par unité se tiennent prêt à décoller, chacun pouvant traiter 14 hectares (Fig.32).
Et c’est Villers-Cotterêts, inséparable de l’ordonnance qui assigne au français son rôle universel, qui sera le tombeau des envahisseurs. Gazée, la Garde Noire tout entière gît face contre terre dans un hideux charnier que les vainqueurs contemplent sans un mot de triomphe (Fig.33). Peut-être parce que la mort des hommes ne signifie pas que tout espoir doive mourir pour l’humanité, quand la tragédie n’oblitère pas la commune origine des belligérants :
« Voilà ce qu’avait fait le fanatisme d’un homme aiguisé par la haine de l’Anglais intrigant et envahisseur ; il avait jeté les uns contre les autres les descendants de Cham et de Japhet, et de nouveau ceux de Cham portaient le poids de la malédiction antique » (III, 353).
D’autant que les sentiments de respect et de loyauté qui unissent le Sultan et son fils à de Melval et à Zahner, son ordonnance, plaident pour une possible communauté, de vues et de vie. Et ce tout au long du roman et contre toute vraisemblance, notamment dans la dernière partie où l’amitié qui les unit tient au vrai de la fraternisation avec l’ennemi quand, circulant entre les lignes ennemies grâce à leur ballon, les officiers français mettent tout leur zèle à prévenir Omar et le Sultan de ce qu’un journal entend mettre leur tête à prix alors qu’Omar, de son côté, s’apprête à prier de Melval de lui amener, en ballon, sa mère, que les Français se sont chargés de protéger depuis Constantinople. Bien inutilement au reste, puisque Zahner, l’ordonnance de de Melval, a devancé sa pensée et l’a exaucé. Zahner à qui revient d’exprimer le paradoxe de la situation : « quelles drôles de relations, tout de même, que les nôtres, mon pauvre ami, et comme j’ai envie, en moment-ci, de lever l’ancre tout bêtement et de t’emmener toi et ton excellente mère quelque part dans un coin ignoré du camp retranché de Paris » (III, 268).
Et si l’honneur interdit une telle solution, Omar, qui croit encore en la victoire des siens, n’en indique pas moins à Zahner une échappatoire où conduire ceux qui lui sont chers au cas où Paris viendrait à tomber : au 34 rue de la Chaussée d’Antin, dans le nid d’amour qu’il a conservé depuis le temps de ses études parisiennes, et dont il paie toujours le loyer pour Suzanne, la femme qu’il y a alors connue et aimée.
Enfin, lorsqu’ils apprennent que l’assaut final est pour le lendemain, Zahner et de Melval, que devrait pourtant préoccuper le sort de la patrie dans l’immense partie qui se joue, n’ont d’autre pensée que de tenter une équipée en ballon pour joindre le Sultan et Omar et « les sortir de là. À tout prix » (III, 298), prêts à les conduire où ils voudront, à Atougha s’il le faut, conscients quand même que le public « ne [les] comprendrait pas ».
En fait de nouveau départ, c’est le terminus que, quand lui sont démontrés l’extermination de ses troupes (Fig.34) et l’échec de son entreprise, choisit le Sultan dans la mort volontaire où l’accompagnent Omar et Hézia, son fils et son aimée, sainte trinité (Fig.35) que les ennemis (?) d’hier enterrent selon le rite musulman, avec tous les honneurs, au risque d’apothéoser aussi leur messianisme avec leur mémoire. Si « le premier soin du général Kitchener », après la reprise en main », fut de dynamiter la tombe du Mahdi à Omdurman et de faire jeter son corps dans le Nil, si l’on sait (ou, plutôt, si l’on ne sait) quel sort fut plus tard réservé à la dépouille de Ben Laden, une sépulture grandiose est donnée au Sultan, dans la mosquée de Paris. Visitée par les curieux du monde entier, elle porte :
« ABD-UL M’HAMED
Sultan des musulmans
souleva l’Afrique,
traversa l’Europe et vint échouer
ici ! » (III, 385).
Alors, la Proclamation que font afficher les autorités françaises, au moment de lancer la contre-offensive, portant que « la lutte de races à laquelle assiste depuis plus d’un an le monde épouvanté va se terminer par l’anéantissement de l’une d’elles », précisant : « la civilisation va prendre sa revanche » (III, 303), fournit-elle l’ultima ratio du texte ? La chose paraît bien difficile à défendre alors que l’invasion islamiste n’est pas encore refoulée que l’on médite déjà « une croisade contre l’Angleterre » (III, 295), visant à « supprimer l’Angleterre de la carte de l’Europe » (III, 280).
À en croire la critique, unanime, « [t]out », dans les romans de Danrit, « devait être simple, avec une nette délimitation entre le Bien et le Mal ». Il semble bien que l’on doive composer avec un sérieux biais que rend patent l’usage lexical qui rend compte des cibles de la croisade à mener et des caractères qui signalent les races maudites. Le Mal est-il forcément noir et le Bien blanc ? Le relaps est-il forcément musulman et l’orthodoxe chrétien ? Les filières à surveiller viennent-elles forcément du Sud et de l’Est plutôt que du Nord et de l’Ouest ? Sur tous ces points, le brouillage est flagrant.
Avec les Anglais – l’Anglais intrigant et envahisseur – l’ennemi est dans nos murs.
Alors, n’y a-t-il pas – déjà – un malaise dans la civilisation ?
Dès lors ce modèle de société a-t-il encore un avenir ? À un de Melval qui cède au pessimisme – « quelles ténèbres vont de nouveau épaissir le vieux continent si ces musulmans triomphent ! c’est la marche en avant de la civilisation retardée de deux siècles » –, son ordonnance porte la contradiction : « Omar est intelligent : il est homme à la reprendre, cette civilisation, au point où nous l’aurons laissée, et à la faire progresser pour le compte des siens » (III, 119).
Et même s’il faut assurément replacer ces considérations dans le cadre d’un débat franco-français où, sur fond de décadence présumée, Danrit, au nom de son sentiment nationaliste et en zélateur des régimes autoritaires, fustige l’abandon des « vraies valeurs » françaises au bénéfice de la chienlit démocratique, intellectualiste et pacifiste, accusée de conduire la France à l’abîme, que cette translatio imperii puisse seulement être envisagée dans ce roman de l’énergie nationale qu’il conçoit à l’instar d’un Barrès, fraie au moins la voie à la décolonisation de l’esprit. Ce qu’accrédite encore le dénouement d’un autre grand roman de politique fiction imaginé par Danrit, L’Invasion jaune (1905), qui s’appuie sur les leçons de la guerre russo-japonaise (1904-1905) pour peindre un monde géopolitiquement en pleine recomposition (Fig.36 et Fig.37) et déclencher une conflagration plus mondialisée encore que dans L’Invasion noire au terme de laquelle la France ne trouve cette fois les moyens de résister à la déferlante ennemie qu’en délocalisant à Carthage un gouvernement provisoire en exil, l’esprit de résistance ayant déserté Paris pour l’Afrique du Nord.
De Gibraltar à Perim en passant par Constantinople, des Balkans à Alexandrie ou Alger, c’est toute la Méditerranée qui fait office de théâtre d’opérations où s’entrechoquent peut-être moins les civilisations que les impérialismes, Danrit déroulant, sous couvert de fiction, une leçon moins manichéenne qu’on ne le dit généralement, pour son temps comme pour le nôtre.
Bibliographie :
Capitaine Danrit, La Guerre de demain, Troisième partie : La Guerre en ballon, tome II, Paris, Flammarion, 1915.
Daniel David, Armée, politique et littérature : Driant ou le nationalisme en son temps, Thèse de doctorat, Montpellier III, 1992.
Daniel David, « Les guerres du capitaine Danrit », Le Rocambole, printemps 2016, n° 74.
Prosper Fleury de Villecardet, La France et le panslavisme, Senlis, Imprimerie de Régnier, 1849.
Roland Lebel, Histoire de la littérature coloniale en France, Paris, Larose, 1931.
Laure Lévêque, Le rouge ou le noir ? Quand la fiction futurologique française prophétisait des lendemains qui (dé)chantent (1800-1975), Arcidosso, Effigi, « ἱστορéω », 2023.
Ngugi Wa Thiong’o, Décoloniser l’esprit, Paris, La Fabrique, 2011 [1986].
Colonel Alain J. Roux, « “Guerre future” et “littérature populaire” : autour de Driant et Robida », Revue de l’Institut d’histoire militaire, n° 85, 2002.
- Laure Lévêque, Université de Toulon, Le Parc Culturel du Biterrois.






































